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Faut-il tuer les Idiots ?

La semaine est terminée



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Peau de cochon
de Philippe Katerine (2004)
La vie est faite de choses bizarres. L'un des films les plus singuliers et couillus de ses dernières années est le fait du sautillant chanteur Katerine, soit douze fragments de sa vie saisis à la caméra DV et réunis sous le titre Peau de Cochon, de l'art brut cinématographique mixé à une étonnante science des dispositifs qui fait rapidement oublier l'ingratitude poussée de la forme. Peau de Cochon est tout sauf un film de touche-à-tout tête à claques. Traversé de bout en bout par les obsessions régressives de Katerine, PDC étonne, fascine et insupporte parfois dans le même mouvement. Comment être encore celui qu'on a été ? Comment être au présent ? Deux questions qui taraudent le chanteur-cinéaste quand il demande à Dominique A. d'écouter l'une de ses premières chansons composées à l'adolescence (question), quand il refait le trajet de son école à sa maison d'enfance ou quand il dévoile sa collection d'étrons (moment assez pénible mais comme on dit, chacun sa merde – indice 1). La peur de la décomposition au centre du film s'incarne dans une image très forte que je n'ai finalement pas retenue de peur de me faire trop d'amis - le dessin de la nièce de Katerine représentant les cinq « visages » terrestres de sa mère : habillée, nue, écorchée, momifiée, squelettique (vraiment sympa, cette famille !). Face à ces terreurs, deux talismans exhibés : la présence magique de son épouse, Elena Noguerra qu'il filme en filature dans l'un des plus beaux moments du film, et l'affection chargée de ses amis et musiciens culminant avec la scène hautement érotique d'intimité avec son bassiste (indice 2 – et honni soit…). En l'état, Peau de Cochon est un document passionnant sur l'identité que je recommande aux êtres de goût. Aux dernières nouvelles, Katerine n'aurait aucune envie de repasser derrière la caméra alors que Bruno Dumont planche sur son nouveau chef-d'œuvre. La vie est vraiment trop conne.
Xtof


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Le Chat Noir (Black Cat (Gatto nero))
de Lucio Fulci (1981)
Bien que tourné entre "Frayeurs" et "L'Au-delà", "Le Chat Noir" ne se rattache pas à la période "zombies" de Lucio Fulci (rappelons que cet artisan du cinéma populaire italien, surtout connu pour ses excès dans le domaine du gore, s'est essayé sans aucun complexe à tous les genres répertoriés, du western au film historique et du giallo au porno soft). Annoncé comme une adaptation d'Edgard Allan Poe, le film n'a au bout du compte quasiment rien à voir avec la nouvelle dont il est tiré (les connaisseurs identifieront en revanche des traces de "L'Emmuré Vivant"). La routine d'un paisible village anglais est perturbée par une série de morts atroces et inexplicables. Une journaliste et un policier (Mimsy Farmer et David Warbeck : indice n° 2) mènent leur enquête et découvrent qu'un vieux misanthrope, obsédé par les sciences occultes (le kubrickien Patrick Magee, en roue libre) possède un chat noir doté du mauvais oeil et capable, grâce à ses pouvoirs, de déclencher toutes sortes d'accidents (en indice n°1, un gros plan sur le regard menaçant du félin qui s'avère être le meilleur comédien du film). Résumé de cette façon, "Le Chat Noir" sera vite rangé dans la catégorie "nanar" par certains d'entre vous : il faut reconnaître que le scénario est plombé d'incohérences, que les dialogues sont faibles et que la direction d'acteurs est nulle. Alors pourquoi avoir choisi ce film ? Parce que, malgré tous ses défauts, Lucio Fulci sait mettre en place un réel climat de peur et ce malgré l'absence de moyens. On ne retient souvent de ses films que leurs effets spéciaux répugnants, alors qu'une grande partie de leur force tient à leur poésie macabre : je pense à cette scène où un ivrogne quitte le pub et déambule de nuit dans une rue brumeuse (image de référence). Très inspiré par Lovecraft, Fulci est sans doute le cinéaste qui a restitué le plus fidèlement l'univers de l'écrivain américain : un monde sombre et sans espoir, traversé de personnages inconsistants et de créatures monstrueuses, mais duquel se dégage malgré tout une atmosphère authentiquement morbide.
Prince Mishkin


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L.627
de Bertrand Tavernier (1992)
L'équipe des Idiots Classiques ne compte pas que des fans de Tatave, mais je suis fière de clamer haut et fort mon admiration pour ce grand réalisateur, par ailleurs cinéphile éclairé (son "50 ans de cinéma américain" est un de mes livres de chevet). Outre l'excellent "Coup de Torchon", adapté du roman noir de Jim Thompson et assez logiquement déjà proposé au FRCD, "L. 627" compte parmi mes films préférés de Tavernier. On y suit l'intégration de Lulu (Didier Bezace dans un de ses plus beaux rôles), un enquêteur chevronné évincé de son précédent poste dans un groupe parisien des stups. Comme dans tout groupe social, on trouve de tout dans cette équipe : Dodo, le chef très con (mais alors très très con) joué par Jean-Paul Comart, Manu, l'alcoolo pas très futé, joué par Jean-Roger Milo, Marie, la jolie flic cool et à l'aise dans ce quotidien couillu, jouée par Charlotte Kady, Antoine, le flic sympa et pas prise de tête, joué par Philippe Torreton, et Vincent, le jeune flic idéaliste qui se prend la réalité en pleine gueule tous les jours, joué par Nils Tavernier (mioum…). Et la réalité qui nous est montrée est particulièrement moche. Des prostituées qui se cament pour tenir le coup (indice 1 où l'on aperçoit Cécile – Lara Guirao – une jeune pute dont Lulu est un peu amoureux). Des flics pas toujours réglos qui luttent contre les trafiquants avec des moyens dérisoires (des bureaux en préfabriqué, des « sous-marins » pourris dans lesquels ils passent des nuits à planquer…) au sein d'une administration bureaucratique (non je ne commets pas un pléonasme). Le quotidien de ces flics, de leurs « cousins », de leur vraie famille, des putes, des drogués, y est montré par Tavernier avec un réalisme saisissant, jusque dans les détails les plus anecdotiques, telle la blague du seau d'eau à l'entrée du commissariat (question) ou le camouflage en camion de plombier étiqueté « le joint français » du « sous-marin » de ce groupe stups.
Mrs Muir


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Golden chicken (Gam gai)
de Leung Chun 'Samson' Chiu (2002)
ENORME succès a Hong Kong, ce qui a d'ailleurs généré un assez bon "Golden Chicken II". Sandra Ng (vous vous êtes déjà demandés comment prononcer correctement ce nom, sans dire "aine ge" ?), dans le rôle principal y incarne une prostituée qui se remémore sa carrière. Sa prestation lui a valu un "Golden Horse Award" a Taiwan : belle récompense pour une actrice prolifique, éternelle second rôle. Film très drôle. Vision assez réaliste de la société hongkongaise, infiniment moins poétique mais beaucoup plus mordant que "Chungking Express". "Golden Chicken" contient des critiques de la société et de la politique locales, tout en faisant preuve de beaucoup d'affection envers HK et ses habitants. "Gai" = "Chicken" = prostituée en argot local.
Kam (Sandra Ng, parfois écrit "Gam" comme dans le titre du film, ou "Kum" - sous-titres du DVD) est une prostituée a HK. Elle a fait tous les types de job habituels dans ce métier a HK : bordel, salon de massage (Indice 2 avec le grand Andy Lau de "Infernal Affairs"), hôtesse de night club, hôtesse de karaoké, free-lance (Indice 1 avec la pop star Eason Chan dans le rôle du client weirdo). Le tout avec bonne humeur et un certain amour du métier. Un peu sur le retour, elle se fait braquer par Eric Tsang (Question, un autre acteur prolifique, et présentateur télé) dans un distributeur de billets. Coupure d'électricité, les 2 sont bloques la pour la nuit, et elle lui raconte sa carrière. Le film est constitue des flash-back de son histoire.
Mister Ke


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Le Petit Poucet
de Michel Boisrond (1972)
Je ne connais pas la génèse de ce "Petit Poucet", mais je suis prêt à parier que le succès de "Peau d'Âne", deux ans plus tôt, a sérieusement motivé les producteurs du film. Jacques Demy étant indisponible, ils sont partis chercher le mercenaire Michel Boisrond et ont embarqué dans la foulée quelques acteurs connus : Jean-Luc Bideau, Marie Laforêt, Jean-Pierre Marielle et Michel Robin. Des chansons ont été écrites afin d'attirer le public des 6-10 ans et la direction artistique du film — décors, costumes, accessoires — rappelle étrangement celle d'une féérie avec Catherine Deneuve et Jacques Perrin dans les rôles principaux (c.f. : image de référence). "Le Petit Poucet" est-il pour autant un plagiat indigne ? Curieusement, non. Sans atteindre la qualité de son modèle, force est de reconnaître que le film a conservé beaucoup de charme. Fidèle à l'esprit du conte de Charles Perrault, Michel Boisrond fait preuve d'un sens inattendu de l'atmosphère et de la narration (on est loin, à ce titre, de l'adaptation totalement ratée d'Olivier Dahan). Si l'on peut émettre quelques réserves sur le début du film — assez mièvre — la deuxième partie est en revanche très réussie grâce à Jean-Pierre Marielle dans le rôle de l'Ogre (indice n°1) : délaissant son emploi habituel de Don Juan de Prisunic, l'acteur livre une prestation inoubliable de grand méchant, à la fois terrifiant et grotesque. On se souvient, longtemps après l'avoir vue, de la scène où Poucet et ses six frères, cachés dans un coffre, (indice n° 2) assistent tétanisés au dîner de l'Ogre et de ses filles, qui dévorent de la viande crue, le visage couvert de sang. Pas tout à fait le repas de "Massacre à la tronçonneuse", mais on y est presque. Enfin, ce choix est un tendre hommage à ma moitié — la Princesse Mishkine —, car "Le Petit Poucet" est un de ses films fétiches.
Prince Mishkin


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Labyrinthe (Labyrinth)
de Jim Henson (1986)
"Labyrinth" is a children's story for everybody, magical, funny and intelligent. With homages to Escher or Dalí, puzzles, visual and logical games, it goes from funny infantile scenes to absolutely brilliant moments. Oh, the mask dance!
Bowie is the enchanting King. But not even him can resist being enchanted by Jennifer Connelly.
Dr Slump


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Tatouage (Irezumi)
de Yasuzo Masumura (1966)
Tatouage est un film qui tient à la peau … il s’incruste par tous les pores, il tranche, il marque, … il déchire ! Je retiens l’histoire d’une femme, tatouée de force, qui une fois sous l’emprise de son tatouage cherchera à se venger des hommes … La femme tatouée est incarnée par la sublime Ayako Wakao (l’indice 2) – déjà vue lors de la session dans les Musiciens de Gion. Elle prête son corps à cette araignée dévoreuse d’hommes, et lui donne vie sous les ondulations de tout son dos. La quintessence du tatouage prend ici tout son sens, entre violence et sensualité. L’érotisme surgit de partout, comme ces pieds qui annoncent l’effeuillage de la belle (la question). Je retiens aussi quelques scènes très fortes, de celles qui vous restent gravées dans le crane. En premier lieu, une scène de combat entre deux hommes sous la pluie, dans la boue, au milieu d’arbres et de pierres tombales, et se terminant dans une crispation aussi tranchante qu’extatique (l’indice 1). La pluie ne lavera rien. Imaginez donc, à la sortie de cette scène, je devais être aussi tendu que le bras que vous voyez sur la photo … Tout y est, couleurs magnifiques, plans parfaits, maîtrise technique totale. La calligraphie de Masumura s’écrit à la lame et au sang.
Scalpaf


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Où est la maison de mon ami ? (Khane-ye doust kodjast?)
de Abbas Kiarostami (1987)
My favourite pursuit scene is not from any cars movie or from any cops film. It is just an 8 years old boy running after a mule in a poor Iranian town, trying to find out where is his friend. Not because of a life and death matter: only to give him a notebook. As simple as that. And as touching as that.
Dr Slump


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Fireworks
de Kenneth Anger (1947)
Fireworks est certainement le film le plus connu de Kenneth Anger. D'ailleurs une majorité de joueurs ont cité ce film à la place du Pehlivan de Pialat.
Anger est un iconoclaste, vomissant sur Hollywood (cf son livre Hollywood Babylone), il va faire ses films dans son coin sans grands moyens et sans stars. Fireworks s'inspire directement de Jean Cocteau et se présente alors comme un collage d'images surréalistes.
Ce délire visuel montre toutes les obsessions d'Anger comme la sexualité avec la présence de fantasmes gays (tels les marins, indice 1); l'humour (la montre à la place du coeur, le pénis en feu, indice 2). Anger va d'ailleurs continuer dans cette voie humoristique avec Scorpio Rising qui tourne en dérision l'image du biker. Sans oublier, enfin, l'intérêt qu'Anger éprouve pour la magie comme on peut le voir au début du film (la statuette, la main). Cet attrait va aussi se retrouver dans des films comme Inauguration of the Pleasure Dome, Invocation of My Demon Brother ou bien Lucifer Rising qui sont l'aboutissement de la collaboration entre Anger et Aleister Crowley, grand spécialiste de l'occultisme. N'oublions pas non plus le travail qu'Anger fait sur l'image, se présentant comme un grand plasticien; sur ce point il faut voir le magnifique Eaux d'Artifice où le cinéaste s'amuse à filmer des jets d'eaux.
Chef de file du mouvement dit "underground" ou "expérimental" et ayant ouvertement influencé de nombreux cinéastes parmi lesquels Jack Smith ou bien les frères Kuchar; l'oeuvre de Kenneth Anger est à découvrir ou à revoir.
Ses films sont malheureusement difficiles à trouver; on peut en déceler parfois sur internet. Pour ceux qui voudrait approfondir l'univers d'Anger, je recommande l'excellent livre signé Pierre Hecker : Les films "magiks" de Kenneth Anger, édition Paris expérimental.
Clark


10



Péché mortel (Leave Her to Heaven)
de John M. Stahl (1945)
Péché Mortel est une oeuvre marquante de John Stahl, qui offre un des rôles les plus troublants de sa carrière à mon idole de tous les temps (ça vous étonne, hein ?!) Gene Tierney. Cette dernière, jouant un personnage de femme à la santé mentale chancelante, va détruire progressivement la vie des êtres qui l'entourent et l'aiment, du petit frère handicapé de son mari (indice 1) à son enfant à venir (question - une scène mortifiante). On retrouve au casting de ce film la splendide Jeanne Crain et Cornel Wilde, l'acteur de "Sous le plus grand chapiteau du monde", une de mes madeleines d'enfance (souvenez-vous, il ressemble vaguement à Tony Curtis).
Mrs Muir


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The Brown Bunny
de Vincent Gallo (2003)
Réalisé, écrit, interprété, produit, photographié et enfin mis en musique par Vincent Gallo. Celui-ci cherche le bâton pour se faire battre : étalant son narcissisme, ce qui lui a valu son surnom de Vincent mé-Gallo, et de plus annonçant son soutien à Georges Bush.
N'empêche le bougre a du talent. Malheureusement réduit à sa scène hot, The Brown Bunny est un film passionnant et déroutant. A travers la dérive de Bud, motard à la recherche de sa bien aimée, Gallo nous montre le portrait d'un homme brisé, condamné à tourner en rond (le circuit du début du film), incapable de se poser et incable d'aimer. The brown bunny s'inspire des grands thèmes du cinéma américain des années 70 (la période du nouvel Hollywood) et d'un des plus grand cinéaste de cette période : Monte Hellman.
The Brown Bunny est un film sincère et très touchant. Deux magnifiques scènes viennent résumer toute la douleur du personnage : l'arrêt sur le bord de l'autoroute où Bud croise une femme (un fantôme ?) se colle contre elle et part (question); puis lorsque Bud enfourche sa moto et roule sans fin dans le désert allant jusqu'à se fondre dans le paysage (indice 1).
Avec Gerry de Gus Van Sant, The Brown Bunny est un des meilleurs films américains vu ces dernières années.
Pour terminer, je signale la présence du superbe morceau, Milk and Honney de Jackson C. Frank, dont vous pouvez écouter un extrait dans l'indice 2 d' Etoile Violette proposé par Xtof. comme quoi quelqu'un qui met une si belle chanson dans son film, ne peut-être foncièrement mauvais !
Clark


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Incassable (Unbreakable)
de M. Night Shyamalan (2000)
Shyamalan keeps revisiting the pop genres. Ghosts, invaders from space or monsters in the wood seem to be just mcguffins for the Indian director to tell us always the same story: a broken family and a man looking for his place in the world.
"Unbreakable" is Shyamalan's journey to comic superheroes. Wonderfully directed, as usual in his cinema, visually astonishing, full of subtle details, was not as successful as it deserved. The same audience who had no problem with dead people walking, found it unbelievable. Well...
Dr Slump


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M.15 demande protection (The Deadly Affair)
de Sidney Lumet (1966)
Adaptation fidèle du premier roman de John Le Carré — "L'appel du Mort" —, "The Deadly Affair" est un excellent film d'espionnage tourné en Angleterre par le vieux routier Sidney Lumet. George Dobbs (James Mason), un agent du MI-5, enquête sur le suicide de Samuel Fennan, un haut fonctionnaire du Foreign Office soupçonné d'être passé à l'ennemi (comprendre : de travailler pour le KGB ou l'une de ses branches, car le film est situé en pleine Guerre Froide). Contre l'avis de ses supérieurs, qui veulent enterrer l'affaire, Dobbs persiste et met à jour un dangereux réseau d'espionnage. La grande originalité de TDA est d'avoir pris le contrepied absolu des clichés véhiculés dans la série des James Bond. L'exotisme se limite ici à la grisaille londonienne et la belle plante de service (style Ursula Andress ou Honor Blackman) est remplacée par une ancienne déportée, anéantie moralement (Simone Signoret, bouleversante). En outre, loin du surhomme viril et creux imaginé par Ian Fleming, James Mason — immense acteur — incarne un personnage nettement plus complexe. Dobbs, intègre et compétent, encaisse plus souvent les coups qu'il ne les donne et doit subir l'humiliation permanente d'une épouse volage (la bergmanienne Harriet Andersson), qui va jusqu'à le tromper avec son meilleur ami, Dieter Frey (Maximilian Schell) (le trio mari-femme-amant est réuni dans le deuxième indice). L'autre grande qualité du film est le soin apporté à tous les personnages : Dobbs est secondé dans sa mission par un dandy cynique (Kenneth Haigh) et un policier retraité qui vit seul avec des animaux (l'impeccable Harry Andrews en premier indice). On sent tout au long du film que, si Lumet s'est efforcé de respecter le genre abordé, il a également pris du plaisir à diriger des comédiens venus d'univers très différents. J'en veux pour preuve la scène-clé du film, qui a lieu au Royal Albert Hall, au cours d'une représentation d'Edward II (image de référence : la mise à mort du héros de Christopher Marlowe). Dans ce passage, Dobbs et ses acolytes ont tendu un piège au chef du réseau ennemi et découvrent avec stupéfaction son identité. Sans rien trahir de cette révélation, précisons que cette séquence possède l'ampleur d'une tragédie shakespearienne.
Prince Mishkin


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Le mariage de Maria Braun (Die Ehe der Maria Braun)
de Rainer Werner Fassbinder (1979)
Le Mariage de Maria Braun est rarement le film de Fassbinder dont on parle, même entre fervents du bonhomme. Je ne vais pas vous livrer une énième analyse de ce film, Internet en regorge … En choisissant ce film, je voulais partager une sensation rarement rencontrée ailleurs, et qui en fait, selon moi, une expérience unique. En surface, c’est une histoire simple, un mélodrame, dans lequel on suit une femme – Maria Braun (Hanna Schygulla) quasiment tout le temps à l’écran – qui vit la sortie de la guerre de son pays, l’Allemagne, en ruine, en passant d’une relation à l’autre, de manière un peu chaotique. Mais au fond un malaise lancinant, imperceptible, persiste. Fassbinder nous ballotte –notamment par un montage perturbant, déstabilisant – comme il ballotte son personnage. Et comme tout corps qui subit une pression malgré lui, il résiste ... Eurêka ! C’est donc un film où il ne faut pas se laisser faire ! Il faut résister, il ne faut pas accepter la surface qu’on nous propose, il faut creuser. Et c’est peut-être juste ça que Fassbinder veut nous dire par ce film. Ne nous laissons pas faire par l’histoire. Et l’on entre alors dans un autre univers, et l'on découvre alors la parabole historique de Maria Braun, et la critique politique de ce mariage qui n’aura duré que 2 jours, telles les promesses d’un miracle économique ! Il y a quelques choses de Sirk chez Fassbinder.
Scalpaf


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Juste avant la nuit
de Claude Chabrol (1971)
Et si on proposait encore un Chabrol au jeu FRCD pour fêter le retour du Grand Claude ? Après une bonne dizaine d'années de films bêtement routiniers et à l'allant de mule asthmatique, Chabrol vient de signer pour France 2 l'une de ses meilleurs réalisations depuis 20 ans : la demi-heure d'adaptation de l'immense Parure de Maupassant. Ca fait plaisir ! Welcome home, Claude au pays du cinéma (et tant pis si c'est de la télé).
Juste avant la Nuit aussi, c'est du cinéma, l'histoire d'un crime sans châtiment et d'une conscience qui s'effrite. Michel Bouquet a zigouillé sa maîtresse lors d'une scène de strangulation érotique poussée – il avoue à ses proches (femme, meilleur ami par ailleurs mari de la malheureuse) et ne reçoit en retour qu'un ennui léger. Que tout continue comme avant ! Vogue le vaisseau noir et feutré de la Bourgeoisie amorale ! D'une douceur mortelle, Juste avant la Nuit culmine dans une scène de promenade crépusculaire entre Bouquet et Périer, deux fantômes parmi les vivants mais sont-ils vivants d'abord ? La faute peut-elle sinon être rachetée du moins s'oublier ? Le passant au regard sombre de la question est-il un succédané sexy des Erynies vengeresses ? Toutes les réponses en regardant Juste Avant la Nuit, film magistral réalisé une année seulement après l'admirable Boucher – on croît rêver !, mais que va nous concocter Bruno Dumont après Flandres, c'est à se demander, hein ?
Xtof