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Quand les Idiots s'emmêlent

La semaine est terminée



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America, America
de Elia Kazan (1963)
Film anti-hollywoodien au possible : pas de stars, pas de cabotinage, pas de scénario ultra huilé ni de rebondissements, pas de femmes nues ni de sang (clin d'oeil à Torrente), ça dure 3h00, c'est en noir et blanc, c'est du plein cadre (alors que la couleur et le cinémascope existaient déjà .... pffff), et pourtant c'est à coup sûr l'un des meilleurs films d'Elia Kazan. S'il s'affranchit des codes, c'est pour réaliser un film honnête, personnel et original. Cela ne l'empêche pas surtout de faire un film extrêmement travaillé (les cadres et les plans sont simplement magnifiques).
C'est l'histoire d'un voyage initiatique, d'une quête, d'un rêve...
Ce rêve c'est l'Amérique, terre promise pour un jeune homme issu d'un village reculé de Turquie...
Voilà tout ou presque et on est littéralement plongé, immergé dans cette fresque qui nous offre une seconde vie, de nouvelles expériences durant ces 3h00 d'infini.
Ce film est aussi l'occasion d'aborder une description d'une société peu connue dans le monde, ainsi qu'une analyse fine et forte du rêve : il est ce qu'on ne voit pas, il est l'indicible, il est un moteur inextinguible...
Et dans ce film, le fait de ne pas donner corps au rêve, le présenter dans son essence, dans sa pulsion (désir plus irrépressible à mesure qu'on s'en approche) n'est pas le moindre des tours de force que Kazan réalise avec cette oeuvre puissante.

n.b : petite pensée à Seb avec qui je devais présenter le film mais qui a préféré ne pas aller au bout de l'aventure organisationnelle!
Nasr Eddin


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L'armée des ombres
de Jean-Pierre Melville (1969)
On n'a pas tous les jours l'occasion d'écrire quelques mots sur un chef d'oeuvre, mais l'exercice n'en est que plus difficile. Sur un scénario de Kessel, Melville signe un film d'une grande dureté sur la résistance, sans héroïsme ni lyrisme déplacés. Ici, les "héros" sont des hommes et des femmes simples, entièrement voués au service d'une cause collective où la notion d'individu est gommée. Ils jouent leur vie, parfois contraints à des actes inhumains pour protéger leur réseau, comme l'assassinat de ce jeune résistant qui a trahi Philippe Gerbier (Lino Ventura), une des scènes les plus marquantes du film (indice 1). Les acteurs sont remarquables : Ventura, qui porte la tension du combat mené sur son visage durant tout le film (je reste marquée par cette scène hallucinante dans laquelle il se met tardivement à courir dans une cave - photo de la question - sous le feu nourri des mitrailleuses nazies), Simone Signoret, Paul Crochet, Paul Meurisse (indice 2), Jean-pierre Cassel et encore Christian Barbier et ses inoubliables "Mâme Mathilde". Le chef op' de Melville aurait voulu tourner en noir et blanc. Il n'y a pourtant pas de regrets à avoir face à la couleur "métallique" retenue (et notamment le bleuté des scènes nocturnes), qui est une des grandes réussites esthétiques de ce film.
Mrs Muir


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L'acrobate
de Jean-Daniel Pollet (1976)
L'Acrobate est le film le plus beau du tandem Pollet/Melki. Sur une trame toute simple, un timide garçon de bain va se métamorphoser grâce la découverte du tango, Pollet mélange le burlesque, la mélancolie et la danse.
Le résultat est un film léger, grâcieux et surtout poétique. A noter une magnifique partition d'Antoine Duhamel (question) et une interprétation savoureuse : Melki (indice 1), Guy Marchand (indice2) et la présence de Micheline Dax (déjà vue dans Rue Saint-Denis).
L'Acrobate est un film à découvrir absolument. Pour les parisiens, le film est diffusé le 17 février à la Cinémathèque française.
Clark


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Racket (The Long Good Friday)
de John Mackenzie (1980)
Loin des enfantillages de Guy Ritchie, "The Long Good Friday" est un polar âpre et violent qui fait honneur au cinéma britannique. A travers cette histoire de caïd londonien dont l'empire s'effondre en l'espace d'une journée, John Mackenzie brosse un portrait à peine exagéré de la "révolution thatchérienne" (démarrée un an plus tôt aux élections de 1979) : rapacité, xénophobie et loi de la jungle. Le film s'ouvre sur une scène de meurtre dans une piscine municipale (question), mais on retient généralement une longue séquence d'intimidation dans une chambre froide (indice n° 1). Enfin, il convient de saluer l'interprétation du couple vedette : Helen Mirren et Bob Hoskins (indice n° 2), tous deux extraordinaires.
Prince Mishkin


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Une journée particulière (Una Giornata particolare)
de Ettore Scola (1977)
C'est une brève histoire d'amour , a priori invraisemblable.
Une Sophia Loren débarrassée de ses atours de bombe sexuelle, et pourtant plus belle que jamais, est Antonietta, une mère de famille servile et résignée. Elle a perdu sa féminité et s'est perdu dans cette vie consacrée à ses hommes – son mari et ses enfants – qui ne la considèrent plus. Elle ne rêve plus qu'en secret.
Gabriele, aka Marcello Mastroianni, est cet homme traqué et mis au ban de la société pour n'être pas conforme aux Idéaux de la Patrie Italienne.
Nous sommes en 1938, et Mussolini reçoit Hitler dans un grand rassemblement national. C'est le rendez-vous du Peuple Fasciste Italien. Et c'est là qu'Antonietta et Gabriele vont se rencontrer : ils ne sont pas conviés à cette grande fête. Ils sont les seuls dans leurs immeubles d'un lotissement populaire.
Cette rencontre va révéler une sensibilité que personne n'observe plus jamais : derrière la comédie et la tragédie, ce sont des êtres extra-ordinaires qui vont se livrer et se (re)trouver dans une sorte d'urgence - chacun la sienne, dans l'atmosphère particulière de cette journée, et dans la pudeur du regard de Scola qui protège ses personnages d'une douce bienveillance.
C'est intemporel et émouvant, c'est sensible et pudique.
Baby Jane et Scalpaf


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Pulp Fiction
de Quentin Tarantino (1994)
Pulp Fiction se devait de figurer aux archives «frcdiennes» !
D’une part, parce qu’il s’agit du film de Quentin Tarantino le moins aimé par la critique et les cinéphiles, en général, et d’autre part parce que c’est, paradoxalement, le plus apprécié du grand public (il n’y a qu’à voir la place qu’il occupe dans le classement Ymdb).
Film cynique de grand ado, pour ado, Pulp Fiction n’a de cesse de «rashomoniser» son scénario, de multiplier les points de vue sur une même scène, et nous entraîne dans 3 histoires «abracadabrantesques», bourrées de dialogues hilarants et de has-been ridicules.
Tarantino s’amuse à dérouler devant nos yeux ébahis, un petit lexique illustré de tout ce qu’il ne faudrait jamais faire dans un film américain de studio.
Déconstruction du scénario donc, mais aussi sur-dialogue à outrance (2 hommes dans une voiture, dans un ascenseur, en train de manger…) sans aucune «action» ou presque. Bref, de quoi provoquer une crise cardiaque à tous les décideurs des grands studios d’alors… C’est donc en toute logique le petit poucet de l’époque, Miramax, qui produisit. Il faut dire qu’ils étaient à la recherche d’un hit (c’était avant Le patient anglais et Shakespeare in love) et surtout qu’ils essayaient de se démarquer pour mieux régner.
Mais Pulp Fiction pose un vrai problème.
Il y a un «avant» et un «après» Pulp Fiction (comme il y a un «avant» et un «après» American Beauty).
La notion de film indépendant fut bouleversée après lui, et tout le paysage indépendant du cinéma américain, avec. Une flopée impressionnante (par le nombre) de navets le singeant déferla donc sur les écrans du monde entier. Mais le modèle était trop fort, trop écrasant, et aucun n’a su digérer le style et l’emphase du maître.
On est en droit de préférer des films comme «Jackie Brown», plus réaliste, moins travaillé graphiquement et entièrement tourné en décors naturels, ou Kill Bill, ultra stylisé et «bigger than life», ou encore Reservoir Dogs, plus sec et dépouillé, mais il faut reconnaître l’incroyable travail du chef-op’ Andrzej Sekula (sa palette de couleurs et ses teintes sont superbes) ainsi que celui du chef décorateur David Wasco, qui réussît à intégrer à merveille des décors magistraux inventés de toute pièce aux extérieurs voulus par le maître.
D’ailleurs on notera l’importance des accessoires chez Tarantino, encore plus flagrante dans Pulp Fiction, puisqu’ils prennent souvent le pas sur l’intrigue, comme chez Hitchcock avant lui, bien connu pour raconter la vie d’objets (la vie d’un couteau, d’un téléphone, d’une corde…). Amusez-vous à compter le nombre de gros plans sur des boîtes de céréales, des montres ou des enseignes. Tout participe à la mythologie du maître du «détail qui tue», construite film après film.
Voir un film de Tarantino c’est, encore plus que chez d’autres cinéastes, entrer dans son univers, faire partie d’un club très privé, discuter avec lui.
Et bien qu’on rêve secrètement d’une suite centrée sur les frères Vega, Tarantino ne s’est jamais répété et ne se répètera sûrement jamais, n’en déplaise à ses nombreux détracteurs.
Qu’on l’aime ou non, il faut lui reconnaître des qualités évidentes. Celles d’un type qui ne s’embarrasse pas des modes mais qui les fait, qui assume ses goûts contradictoires et hétéroclites, un grand recycleur, le plus grand D.J cinématographique actuel, un mec qui prend à bras le corps tous les clichés de chacun des genres qu’il explore (comme Lynch avant lui), et qui a fait sienne une devise formidable :
«Le cinéma n’est pas un mausolée où tout est déjà défriché, mais un immense parc d’attractions où tout reste à faire».
DVD Zone 2 français sorti chez Wild Side, pas mal du tout. Manque tout de même le formidable doc sur l’univers «tarantinesque» dispo sur les zone 2 hollandais et anglais.
Torrente


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Les deux sirènes (Mermaids)
de Richard Benjamin (1990)
Rachel Flax (Cher) est un vrai coeur d'artichaut. Elle tombe amoureuse comme d'autres achètent des chaussures, sur un coup de tête. Mais, à chaque fois que ça tourne au vinaigre, plutôt que d'affronter la situation, elle décide de recommencer sa vie dans une autre ville. Et, bien sûr, celles qui pâtissent le plus de cette situation sont ces 2 filles, Charlotte (Winona Ryder) et Kate (Christina Ricci).
Si Kate ne pense qu'à nager, Charlotte est, quant à elle tiraillée, entre tomber amoureuse et devenir nonne ! Vaste dilemme !
Et voilà qu'un jour, après un énième échec sentimental de Madame Flax, alors que toute la famille doit recommencer sa vie à East Port - Massachusetts, Rachel et Charlotte vont enfin rencontrer l'amour... Voici, à peu de choses près, le script de départ de cette comédie familiale décalée juste ce qu’il faut.
Découverte au petit bonheur la chance, alors que j’errais désespérément au vidéo-club du coin, à la recherche d’un petit film sympathique, « Mermaids » me plongea dans un doux état extatique… de ceux que seules certaines comédies romantiques peuvent vous procurer. Et puis il y a cette famille incroyable jouée par un bande d’acteurs tous plus formidables les uns que les autres, Bob Hoskins en tête (indice 2). Le genre de famille que l’on aimerait connaître ; du genre de celles des copains de classe qu’on envie, après avoir été invité à leur super goûter d’anniversaire, alors qu’on vient de se prendre la tête avec ses propres parents…
Cher, Bob Hoskins, Christina Ricci et la belle Winona Rider composent des personnages incroyablement attachants, et, une fois n’est pas coutume (compte tenu de sa filmographie), très bien mis en valeur par la mise en scène discrète de Richard Benjamin (un réalisateur trop souvent habitué à céder aux sirènes de la facilité).
Et, bien que ce film rentre dans la catégorie très sous-estimée des films « romantico-familiaux », cette belle histoire d'amour loufoque est un vrai moment de bonheur où la qualité de jeu des acteurs compense grandement un scénario finalement assez classique.
Zézette


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Le corps et le fouet (La Frusta e il corpo)
de Mario Bava (1963)
« Si tu veux faire le Mal, fais le bien », ça pourrait être la devise de ce film. Et Mario Bava est un maître en la matière. Un château isolé, un meurtre mystérieux, une famille consanguine (ou presque), c’est le début d’une irrésistible déambulation où les dédales de l’architecture des lieux – passages secrets, couloirs drapés, escaliers sombres –, renvoient aux atermoiements et vicissitudes psychologiques de l’héroïne, superbe Daliah Lavi (indice 2). L’audace formelle de Bava se met tranquillement en place. Tout est de la partie, les feuilles des arbres fouettent la fenêtre de la chambre sous l’effet du vent … Comme souvent, ça fonctionne à plusieurs niveaux. La face apparente faite de crimes, de corps (et de fouet, ha, ha ,ha), cache une face plus transgressive, faite d’ombres, de désirs et de fantasmes. Le Corps et le Fouet est un film hautement transgressif. Il se joue des interdits et des tabous comme pouvaient le faire certains films noirs aux plus sombres temps de la censure (sur d’autre thématiques et en d’autres termes) - Le corps et le fouet sera censuré à sa sortie. Quelle virtuosité de la part de Bava, c’est un véritable délice de finesses et de subtilités. A la palette artistique (couleurs, objets, mouvements de caméra, ambiance sonore) répond la palette des sentiments que traversent les personnages : passion, fantasme, jalousie, sado-masochisme et nécrophilie.
Sa filiation avec le Masque du Démon – œuvre maîtresse de Bava – est flagrante. La boue - squelette boueux (la question) - en est une des nombreuses marques. On trouve aussi d’étranges ressemblances – notamment dans l’agencement des lieux, et certains plans plus que « frères » – avec La Vierge de Nuremberg, film très honorable réalisé la même année par Antonio Margheriti. C’est dire si les codes et la grammaire du cinéma gothique Italien avaient déjà imprégné une génération de réalisateurs, plus ou moins doués, Bava comme père fondateur.
Du côté de la distribution, pour donner le change à la fascinante brune de sévices (déjà citée), il fallait bien un Christopher Lee au meilleur de sa forme. Son ombre (indice 1) – et pas seulement – hante peut-être encore les nuits de la belle Daliah... Une œuvre majeure à voir et à revoir. [DVD Zone2 chez Mad Movies]
Scalpaf


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Hong Kong Nocturne (Xiang jiang hua yue ye)
de Umeji Inoue (1966)
Les sixties Hong Kong style. 1966, c’est 21 ans après la fin de l’occupation japonaise de Hong Kong. C’est aussi l’année du début de la Révolution Culturelle en Chine Populaire. Les remous ont été ressentis dans la colonie britannique d’alors, créant une instabilité suffisamment forte pour que les Britanniques envisagent un moment d’évacuer le Territoire. C’est durant toutes ces grèves, une altercation militaire à un poste frontière, les 214 bombes qui ont explosé entre Mai et Octobre 1967, et une administration coloniale à deux doigts de baisser les bras, qu’Umeji Inoue, un réalisateur japonais venu rejoindre la powerhouse des Shaw Brothers à Hong Kong, tourne des comédies musicales fraîches et (aujourd'hui) kitsch à souhait.

“Hong Kong Nocturne” est la première d’entre elles. Les personnages principaux sont un vieux magicien (Question) et ses 3 filles, qui au début font un spectacle avec lui. Mais comme il ne les paie pas, et se fait plumer par une maîtresse peu scrupuleuse, elles décident de l’abandonner pour se lancer dans des carrières solo. L’une part au Japon (Indice 1 et clin d’œil du réalisateur a son pays natal) puis a Taiwan. Apres le désastre des tentatives solo, les 3 sœurs se regroupent et montent un spectacle en commun à Hong Kong (Indice 2).

Pour les amateurs, une autre comédie musicale du même réalisateur, “Hong Kong Rhapsody” (1968) est moins connue, mais est plus légère et une grande partie des scènes musicales sont “imaginaires”, ce qui permet au chorégraphe de se lâcher un peu plus. Celestial Pictures a racheté récemment les droits de la majorité des films des Shaw Brothers, qui avaient été inaccessibles durant des dizaines d’années. Celestial a entrepris de les restaurer et de les rééditer au fur et a mesure de l’avancée des travaux. “Nocturne” et “Rhapsody” font donc partie de ce trésor en train de resurgir.
Mister Ke


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Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory)
de Stanley Kubrick (1957)
Paths of Glory fait figure de grand classique, chef d'œuvre parmi les chefs d'œuvre de Stanley Kubrick. S'appuyant sur des faits réels qui n'étonnent plus grand monde aujourd'hui, il fut pourtant marqué du sceau du secret et censuré en France à sa sortie. Les cinéphiles français organisaient alors des convois pour voir le film en Belgique, en territoire ennemi. Que d'histoires pour si peu : des officiers qui condamnent arbitrairement des soldats pour faire des « exemples » …
Mais wouah ! quel putain de film ! les troufions bloqués dans les tranchées, les revues de troupes en travelling… et l'attaque de la Fourmilière adverse par des soldats ... filmés telles des fourmis … Et puis ces officiers à gerber, bien droit dans leurs bottes, tout propres dans les salons marbrés de la République ! Tu m'étonnes qu'ils n'ont pas aimé, même 40 ans après. Parce que c'est pas juste un film sur la guerre 14-18, c'est un film sur le caractère autoritaire et violent de l'armée, sacrifiant l'individu sur l'autel des volontés patriotiques et des intérêts (des) supérieurs.
En stigmatisant le jusqu'au-boutisme patriotique – des centaines de milliers de morts pour gagner quelques centaines de mètres –, le cynisme de la guerre scientifique – les officiers discutant sur les pertes de l'opération du lendemain : 5% par les tirs de barrage, 10% dans le No Man's Land, 20% entre les barbelés, etc., etc., –, Kubrick montre avec effroi l'absurdité de la guerre, critique qu'il démultipliera avec Folamour.
Pour autant on ne peut pas dire qu'il cherche à effrayer : peu de corps gisant, quasiment pas de sang à l'écran. Et il y a une certaine ironie à ce que le seul corps atrocement mutilé qu'il nous est donné de voir soit le fait d'un Lieutenant ... sur un soldat de son propre camp. (indice 1)
L'horreur trouve ses germes ailleurs. Il faut les chercher au sein même des mécanismes de décision, et de la logique hypocrite et cynique qui animent la hiérarchie militaire. Les officiers sont d'ailleurs filmés avec une certaine distance, d'une manière un peu systématique, la scène du procès en étant l'exemple le plus frappant (indice 2). Les plans rapprochés sont réservés aux troufions et à leurs tronches burinées, marques de leur singularité, et quelles tronches !
Et puis il y a cette scène avec la chanteuse allemande – Susan Christian qui deviendra Christiane Kubrick –, bouleversante ! C'est bien simple, je me transforme en fontaine à chaque fois que j'entends cet hymne au rapprochement avec l'ennemi déclaré (la question), et ce n'est pas seulement parce que la chanson a bercé mon enfance. "Marjolaine, toi si jolie, Marjolaine le printemps fleurit ..."
Scalpaf


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Au coeur de la nuit (Dead of Night)
de Alberto Cavalcanti, Charles Crichton, Basil Dearden et Robert Hamer (1945)
Un architecte perturbé par un rêve récurrent se rend pour son travail dans un cottage campagnard où il découvre un petit groupe réuni for tea. Dérouté par la coïncidence absolue de ce qu’il voit avec son rêve, il amuse l’enjoyable compagnie avant de les inquiéter - lui seul sait que la fin du rêve sera épouvantable (un peu à la façon de Clark Clownil qui lit couramment le pire à venir dans les selles de nouveau-né). Tout ce petit monde se prend au jeu - y compris un psychanalyste cartésien en diable - et se met à raconter histoires vécues et entendues où les mystères de l’âme humaine apparaissent sous des couleurs flippantes comme une nuit passée dans un cimetière avec le zombie sous ecstasy de Mrs Muir.
Fleuron du fantastique anglais, Dead of Night semble tout entier contenu dans cette célèbre phrase de Goya : « Le sommeil de la raison engendre les Mod…, euh, les monstres ! ». Tout genre confondu, il est rare qu’un film à sketches présente une telle unité malgré la diversité des matériaux employés, que ce soit :
- L’humour anglais de Golfing Story (la question et sa citation de la Sérénade à 3 de Lubitsch en moins sexy quand même, les deux trumeaux n’étant ni Fredric March, ni Gary Cooper)
- le gothique refoulé de The Haunted Mirror (indice 1)
- l’horreur psychologique de The Ventriloquist Dummy (indice 2) qui vaudra à l’ensemble de passer à la postérité.
C’est en effet l’éprouvante prestation de Michael Redgrave qui surnage normalement de la première vision de la chose (et notamment le dernier plan sur son visage plus scary monster que tous les blobs freddo-halloweenesques du monde). La revoyure aidant (merci le jeu !) nous finasserons un peu, le scénario du ventriloque n’est pas le mieux ficelé du lot et certains effets expressionnistes datent un brin. Notre goût se précisant avec l’âge (agaga !), nous élirons la concision du glaçant Hearse Driver, les péripéties exquises et plus que décalées des deux golfeurs (tirés d’une nouvelle de HG Wells, merci Scalpaf) et surtout le formidable Miroir, sorte de Soupçons sur l’os, très pré-Hammer avec de la vraie peur à la clef. Un dernier mot (encore ?) sur le fil narratif du rêve parfaitement intégré à l’ensemble et qui s’effilochera élégamment à la façon parfaite de la Femme au Portrait réalisé par Fritz Lang une année before (ces commentaires seront bilingual ou ne seront pas).
Xtof


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Bulworth
de Warren Beatty (1998)
Je bats ma coulpe depuis que Bulworth a croisé ma vie.
Jusqu’alors, je n’avais de Warren Beatty que l’image d’une endive musclée ultra-brite tout juste bon à tournebouler les hormones de la gent féminine fan d’endives en général (Brad Pitt, Leonardooooo, etc…).
De ses « performances » d’acteur, je retenais surtout les baisouillades innombrables avec tout ce qui porte ovaires à Hollywood. Quant à ses films en tant que réalisateur, le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne m’avaient pas laissé un souvenir impérissable - Reds m’avait même excédé ou comment bousiller un sujet passionnant au profit d’une énième romance chichiteuse.
A tout prendre, l’anecdote la plus drôle sur Beatty me semblait cette scène de Heaven Can Wait où Julie Christie et lui déambulaient au loin en papotant dans la nature offerte avec en off de la musique à l’avenant. Un sourd-muet voyant le film lut sur les lèvres de Christie qu’en fait de romance, elle s’étonnait que lui, Warren, mit en scène des conneries pareilles alors qu’en Europe des petits jeunes doués comme Fassbinder changeaient le cinéma, gloups !
Hé bien voilà, j’avais tort - ou disons, que je n’ai plus raison ! La faute à Bulworth, satire caustique et hilarante du monde politique américain trempé dans le fiel léger de Billy Wilder. Un sénateur démocrate en quête de réélection pète les plombs en pleine campagne et se transforme en rappeur Monsieur Propre - il découvre les inégalités raciales, le sex-appeal inégalable de Halle Berry et les tréfonds de la détresse (dans un accès suicidaire, il engage un tueur chargé de l’éliminer auprès d’un mafieux obèse - le grand Richard Sarafian, auteur de Vanishing... vroooooouuuuuuummmm …Point).
Quasiment tordant de bout en bout, Bulworth joue à fond la carte du politiquement incorrect en cultivant à tout rompre vacheries et obscénités. D’une structure un peu hasardeuse qui rend bien le chaos d’un show électoral programmé, la beauté la plus profonde du film est de ne pas faire de Bulworth un chevalier blanc converti au malheur du monde. Ce n’est, finalement, qu’un corrompu ordinaire - quoique sympathique - que l’effet conjugué du stress et de l’épuisement rend, un temps, insensible à tous les enjeux - celui de ce grand petit film qui s’épanouit comme jamais dans la belle pause où, réfugiés dans une voiture à l’arrêt, Berry donne à Beatty, entre séduction et colère, une magistrale leçon de géopolitique sur la cause noire. En deux mots comme en cent, votez Bulworth ! (hummm, comme c’est facile !)
Mrs Muir et Xtof


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Beautiful Girls
de Ted Demme (1996)
One of those special movies that touched a generation of movie-goers, a generation of lost youth who just want something beautiful in our lives. But who doesn't? For those who refuse to grow, who have lots of questions and no answers. Still looking for purity and trying to recover the innocence. Lost in the snow where a 13 years old girl skates in shining light.
Dr Slump


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Mars à table ! (Top of the Food Chain)
de John Paizs (1999)
Cinéaste canadien plus que méconnu, John Paizs réalise quelques courts avant de se lancer dans le long. Il s’agira de son film de fin d’études, qui eût la chance de sortir en salles dans son pays (un peu comme le Dark Star de Carpenter).
Puis… rien !
Ça ne vient pas, alors Paizs devient un mercenaire des séries télé américaines.
C’est là qu’il peaufine son style et apprend l’essentiel : la rigueur des plans et la caractérisation des personnages (si importante dans Mars à Table).
C’est aussi comme cela qu’il rencontre le fabuleux directeur de la photographie, Bill Wong (le responsable des superbes images de Zu, les Guerriers de la Montagne Magique, Il était une fois en Chine, ou encore du sublime The Sword), sur la série Once a Thief, produite et initiée par le grand John Woo (pas si mauvaise qu’on a bien voulu le dire) et pour laquelle il réalise l’un des tous meilleurs épisodes.
Puis vint le temps de la conquête du grand public... et Mars à Table sort sur les écrans en 1999, mais c’est à la sauvette. La sortie internationale est sabordée, il sort en plein été, et le succès n’est pas au rendez-vous.
Reste une découverte jubilatoire, celle d’une comédie «portnawak», maîtrisée jusque dans ses moindres recoins.
D’abord, il y a le script irracontable mais hilarant, mêlant Sci-Fi des années 50, truffé de références subtiles pour le cinéphile curieux, quelque part entre Ed Wood et Roger Corman, avec du Zucker-Abraham-Zucker dedans. On y tourne en dérision tous les corps de métier et toutes les croyances (aussi bien scientifiques qu’ésotériques).
Ensuite, il y a le casting. L’un des meilleurs de comédie vu depuis longtemps. Le trio formé par Campbell Scott, Fiona Loewi et Tom Everett Scott, tous à fond dans leur rôle respectif, nous régale. Ils s’éclatent et ça se voit.
Et enfin, il y a la réalisation, presque télévisuelle tant elle se fait discrète. Une mise en scène «profil bas», donc, sans effet de manche, classique au possible mais d’une redoutable efficacité et en totale harmonie avec le propos. Et ce qui retient l’attention, c’est bien le travail accompli par Bill Wong.
Bref, cette histoire d’invasion d’extra-terrestres affamés, photographiée par un hong-kongais, tournée par un canadien, avec un grand acteur américain (Campbell Scott – indice 2), est appelée à devenir culte, tout juste entre Killer Clowns from Outer-Space et Dude, where’s my car ?. Vous verrez…
DVD Zone 2 sorti, il y a quelques années, chez feu Film Office. Un éditeur au catalogue extraordinaire (Sombre, The Doom Generation, Box of Moonlight…) dont seules les daubes ont été rachetées par des éditeurs cheap (DVDY, Aventi, et consorts). Un gâchis honteux. Mars à table n’était donc plus disponible en France, mais, grâce à l’un des éditeurs de supermarchés cités plus haut (Bonzaï Films), il a pu renaître de ses cendres, l’an dernier. Exclusivement disponible dans les hypermarchés Auchan, pour 2,99 euros, le DVD est la copie conforme de l’édition précédente, succin mais efficace : VOSTF/VF au choix, une image rendant hommage à la photo de Bill Wong, quelques bandes-annonces, et un déroulant des notes de production du film.
Torrente


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Innocence
de Lucile Hadzihalilovic (2004)
Si vous pensiez avoir tout vu sur l'enfance, le cinéma , l'enfance et le cinéma, le cinéma de l'enfance.... vous n'aviez encore rien compris.
Point de naïveté ici, mais de la gravité.
Point de spontanéité, une vie millimétrée.
Point d'insouciance, mais des questionnements.
Qu'est-ce que je fais ici? Qu'est-ce qu'il y a dehors? Qu'est-ce qu'il va m'arriver?
L'Innocence, ce n'est pas un paradis perdu, c'est un état indescriptible où l'on ne sait pas dans quel monde on vit, où l'on ne comprend pas pourquoi les règles sont telles qu'elles sont. Point d'angoisse : les jours coulent, la vie passe. C'est sûrement de l'inconscience.
Lucile H. créé ici une société microcosmique, hors du temps, Irréelle. Difficile pour nous, adultes présumés, de comprendre pourquoi? comment? et comment-ça-peut-bien-tenir-debout-une-idée-pareille? Et pourtant ces petites filles vivent dedans, grandissent dedans. Force est de constater que cela fonctionne plus ou moins bien pour elles.
Elles vont connaître dans ces lieux les différentes étapes qui les
préparent à la vie adulte - peut-être. Elles entrent chrysalides, elles ressortent papillons.
Si elles ressortent...
Et si on n'arrive pas à sortir de l'enfance? Et si on loupe une étape? Est-ce possible de ne pas pouvoir partir de ce monde?
Rien n'est mis de côté, tout est passé à la loupe. C'est le moment de croire à nouveau au Père Noël, car vous avez, maintenant, retrouvé votre Innocence.
Baby Jane et Clark