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Le charme discret de l'Idiotie

La semaine est terminée



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Théorème (Teorema)
de Pier Paolo Pasolini (1968)
Parabole autour du désir et des liens familiaux, "Théorème" est un chef-d'oeuvre à (re)découvrir au plus vite. Un industriel milanais, sa femme et leurs deux enfants mènent une vie rangée et étouffante. L'arrivée d'un étranger (Terence Stamp, dans un de ses plus beaux rôles : indice n°2) bouleverse cette routine mortifère. L'un après l'autre, chacun succombe au charme étrange de ce bel inconnu qui parle peu et se montre entièrement disponible. Peut-être s'agit-il d'un ange tombé du ciel...
En dépit des apparences, "Théorème" n'est ni un porno soft, ni une charge anti-bourgeoise à la Claude Chabrol : chaque personnage y est regardé avec bienveillance et les scènes de sexe n'ont rien de scabreux ni d'émoustillant (elles sont pour la plupart simplement suggérées).
Placée sous la double influence de Léon Tolstoï et d'Arthur Rimbaud (première image), le film intègre également des aspects fantastiques, tel le miracle de l'ancienne gouvernante (Laura Betti) qui flotte en lévitation au-dessus d'un village (indice n°1). Loin du pessimisme radical de "Salo", "Théorème" est au contraire une fable lumineuse entièrement dédiée à la pulsion de vie.
Prince Mishkin


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La femme d'à côté
de François Truffaut (1981)
Dangereuse passion. La femme d'a cote, c'est évidemment l'Übersensuelle Fanny Ardant (Indice 2). Quant au type d'a cote, bon, c'est le gros Dipardiou. Non, d'ailleurs, pas si gros que ca a ce moment-la, et pas si "Dipardiou" que ça non plus. Quoi qu'il en soit, Gérard vit une existence sans surprise, stable, responsable, certains diront que c'est un monstrebeauf, avec sa femme et son jeune fils dans un village des environs de Grenoble. Alors jusque la, ça fait assez ambiance "Modes et Travaux" voire magazine de l'association des Anciens de l'Ecole Centrale do Brazil : François n'y est pas allé de main morte pour planter le décor.
Mais François nous fait aussi annoncer la couleur des le tout début du film : Madame Jouve, la narratrice, nous explique que l'histoire est un plan Serie Noire, de l'amour qui fait bing. Au passage, un petit coup de "Verfremdungseffekt" brechtien, avec Madame Jouve qui demande a la camera de reculer. François, la ça fait un peu exercice de style !
Oublions ce bug. Voila que patatras, la maison d'à côté est louée (indice 1) par Fanny et son mari, ou plutôt l'inverse. Fanny est un volcan féminin, qui psychote pas mal et fait des dessins pour enfants (Question). La ou c'est chaud, c'est que Fanny est une ex de Gérard, avec qui elle a eu une aventure "je t'aime moi non plus" particulièrement intense et limite ravageuse, qui s'est terminée 8 ans auparavant. Et la ça repart comme en quarante : le Gérard part en vrille total, Fanny pas mieux et ça finit mal, très mal.
Le coup de brose pseudo-intello : contrairement aux drames amoureux classiques (Tristan & Iseult, Romeo & Juliette, Belle du Seigneur…), l'amour de Fanny et Gérard n'est pas un amour rendu impossible par la société ou des personnes extérieures. En fait, la difficulté de leur amour vient de l'intérieur : c'est un amour dévastateur. Y a un truc qui fait masse. La camera suit ce crescendo dramatique de façon relativement neutre, le malaise monte, il n'y a pas d'espoir.
Mister Ke


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Walk the line
de James Mangold (2005)
J'ai longtemps pensé que la Country était un genre musical chiant et le biopic un genre cinématographique barbant. C'était sans compter l'oeuvre de Jonnhy Cash et sa remarquable bio filmée avec talent par James Mangold. Retraçant en début de film l'enfance de Cash, Mangold donne les clés des brisures originelles de l'artiste : la mort accidentelle de son frère aîné adoré (la question illustre cette scène bouleversante), fils préféré du père qui reprochera toute sa vie à Cash, le fils sans talent, de ne pas être mort à sa place. Un premier mariage raté n'arrangera rien aux névroses de l'artiste, qui sombrera à plusieurs reprises dans l'addiction aux drogues et médicaments de toutes sortes (en indice 1 sa chute mémorable en tracteur lors d'un déjeuner familial). Sans sombrer dans le gnangnan ou le mysticisme, Mangold filme la "rédemption par l'amour" de Cash, sauvé des eaux (au sens propre - scène du tracteur - comme au figuré) par June Carter, chanteuse talentueuse jouée par la lumineuse et bouleversante Reese Witherspoon, qui n'a pas volé son Oscar. L'oeuvre de Cash accompagne merveilleusement le film (c'est l'avantage par rapport à un biopic d'Eve Angeli), et les deux acteurs principaux (Joaquin Phoenix - qui méritait plus l'oscar que le grimaçant Capote - et RW splendide en brune), remarquables de bout en bout, chantent eux-mêmes les passages de concerts (j'ai dû me pincer pour y croire tellement on dirait les vrais). A mon sens, le plus beau film de l'année 2005, sous-estimé par de nombreux critiques (qui encensaient dans un même temps le très surestimé Capote).
Mrs Muir


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Le tombeur de ces dames (The Ladies Man)
de Jerry Lewis (1961)
Jerry Lewis n’a jamais eu les honneurs du jeu frcd. Justice est faite !
Beaucoup de personnes associent encore le nom de Jerry Lewis à un comique vulgaire et grimacier ; c’est malheureusement faire injure à un grand génie burlesque.
Lewis est connu pour son chef-d’œuvre, The Nutty Professor (Docteur Jerry and Mister Love, toujours ces traductions navrantes en français) mais beaucoup ont oublié ses autres films qui comptent d’immenses réussites.
The Ladie’s Man fait partie de celles-ci. L’histoire est simple ; à la suite d’une déception amoureuse Herbert H. Herbert (Lewis) jure de ne plus fréquenter une seule femme. Mais voilà qu’à la suite d’un quiproquo, il se retrouve embauché comme homme à tout faire dans un pensionnat de jeunes filles.
Souvent chez Lewis, un espace clos est prétexte à un enchaînement de gags mais ce qui frappe dans The Ladie’s Man c’est la qualité de la mise en scène. Comment ne pas être séduit par la beauté des cadres (on raconte que Lewis fût le premier à utiliser le retour vidéo) et des couleurs ? Sans oublier l’extraordinaire décor représentant une maison de poupée grandeur nature (Godard fera un clin d’œil à ce dispositif dans son film Tout va bien).
Paramount vient d’éditer 5 de ces meilleurs films (l’occasion d’apprécier les films en VO, la VF est insupportable) il grand temps alors de redécouvrir cet immense artiste qui va influencer bon nombre de comique actuel ; Jim Carrey est un peu son fils spirituel et l’humour régressif de Lewis se retrouve dans les meilleures comédies américaines actuelles (les films des frères Farrelly sont les plus représentatifs).
Clark


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Le métro de la mort (Death Line)
de Gary Sherman (1972)
En France, Gary Sherman est surtout connu pour "Dead and Buried" (1981), film terrifiant sur les secrets d'une petite ville portuaire, à la croisée de "Fog" et d'"Invasion of the Body Snatchers". Tourné dix ans plus tôt, "Death Line" mérite lui aussi d'être découvert. L'idée de départ est la suivante (elle sera reprise en 2004 pour "Creep", remake inavoué et faiblard) : plusieurs personnes — voyageurs, employés — disparaissent mystérieusement dans le métro de Londres. Un couple (Sharon Gurney et David Ladd, première image) aidés par l'inspecteur Calhoun (Donald Pleasance, indice n° 2) mènent leur enquête et découvrent une effroyable vérité... (je n'en dis pas plus, il s'agit de l'indice n° 1). Relativement économe dans sa description de l'horreur, "Death Line" laisse un malaise durable en raison de son atmosphère poisseuse. En outre, sans trop dévoiler les ressorts de l'intrigue, on constate pour une fois que la "créature" n'est pas une bête nuisible à éliminer d'urgence, mais plutôt une victime qui lutte pour sa survie. Un mot enfin sur Donald Pleasance, vieux routier du cinéma fantastique (chez Siegel, Carpenter, Argento...) mais également acteur subtil et souvent inspiré (je pense à son rôle de mari mal-aimé dans "Cul-de-Sac") : il incarne ici un policier "old-school" de Scotland Yard qui râle en permanence contre les hippies et les drogués, mais refuse toute forme d'intimidation de ses supérieurs. Rien que pour sa présence, "Death Line" vaut le coup du trajet.
Prince Mishkin


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Maine-Océan
de Jacques Rozier (1986)
Jacques Rozier est une énigme. Comment un cinéaste aussi talentueux n’a pu faire que 5 films en plus de 20 ans de carrière ? Et comment se fait-il qu’il n’a pu toucher le grand public malgré un soutien sans faille de la critique ?
De tous ses films, Maine-Océan est le plus beau. Maine-Océan est une histoire de rencontre et de vacance.
Rencontre entre des personnages qui n’avaient rien pour (se rencontrer) :
2 contrôleurs SNCF (qui exceptionnellement ne sont pas en grève !), une danseuse brésilienne (question), un marin et une avocate. Ce petit monde va se retrouver sur une île, l’île d’Yeu et en profiter pour faire une fête complètement improvisée (indice 1).
La grande force de Rozier est de nous faire partager « les petits moments de la vie » ; ici pas de psychologie, on ne sait rien de ces personnes ; on est juste heureux d’être avec eux et de partager leur bonheur.
Souvent chez Rozier bonheur rime avec mélancolie. A la fin de la fête chacun retourne chez soi et chez certain ou plutôt pour l’un d’entre eux le retour à la réalité va être plus douloureux que prévu.
C’est la troisième partie du film, la plus dramatique mais aussi la plus belle.
Rares sont les films français et rares sont les films tout courts qui parviennent à nous enchanter et à nous émouvoir. A la fin de Maine-Océan, on a juste envie de courir et de crier merci pour cet extraordinaire voyage. A noter une interprétation toujours impeccable chez Rozier (mention spéciale à Yves Afonso et Luis Régo) ; mais je voudrais rendre hommage à un acteur magnifique souvent « ringardisé », cet acteur c’est Bernard Menez (indice 2, on entend le timbre de sa voix) qui fait ici une composition admirable, loin des timides benêts, rôles auxquels il a été souvent cantonné.
Je vous recommande bien entendu de vous précipiter sur Maine-Océan ; et de supplier les éditeurs de bien vouloir sortir en Dvd les films de Jacques Rozier.
Clark


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Un plan Simple (A Simple Plan)
de Sam Raimi (1998)
Sam Raimi, after decades of gore, series Z, gross humour, sickening zooms and horrible actors in absurd films, surprised in 1998 with this sober thriller. In a Fargo-esque landscape and rythm, the four characters see how their dream becomes a nightmare gradually but quickly. "Nobody'd ever believe that you'd be capable of doing what you've done", she says, but it seems that these acts are just the logical conclusion. No way to escape from misery, no way to remain innocents here once you have taken off your masks. The crows are watching.
Dr Slump


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DiG!
de Ondi Timoner (2004)
La réalisatrice de Dig ! Ondi Timoner a accompagné pendant 7 ans 2 groupes de rock indépendants (issus de la même ville, Portland) : les Brian Jonestown Massacre et les Dandy Warhols.
On assiste à pas beaucoup de « sex », une touche de « drugs » mais énormément de « rock n'roll ».
Concerts foireux, signature de contrats, tournage de clip, composition de morceaux… Bref on suit le quotidien des deux groupes.
Outre le côté jouissif et diabolique de la musique rock, l'intérêt de Dig est de nous dépeindre la relation attraction/répulsion entre les deux leaders des deux groupes (Anton Newcombe pour les BJM et Courtney Taylor-Taylor pour les Dandy).
Les B.J.M et les Dandy ont débuté ensemble jusqu'à fusionner sur scène (les deux groupes se rejoignant fréquemment en concert) puis la jalousie et la haine se sont peu à peu emparées de leur histoire.
L'un, Newcombe (indice1, guitare) enviant le succès de son ex-ami ; et l'autre, Taylor-Taylor jalousant le song-writing de son meilleur ennemi.
Même si Dig flirte avec le manichéisme (le fou gentil contre l'idiot opportuniste) ; on retiendra que Newcombe est un personnage attachant mais qu'il est loin d'avoir le génie de Syd Barrett ou de Brian Wilson et que les Dandy Warhols sont un groupe avant tout sympathique (Taylor n'hésitant pas à reverser ses droits d'auteurs aux autres membres du groupe pour « qu'ils puissent faire la fête »).
Ce que l'on retient aussi au final de Dig c'est l'aspect sombre (l' «envers» comme dirait Nick Kent) du rock. La dernière séquence où l'on voit un Newcombe abandonné de tous en train de jouer de la guitare près d'un caniveau résume toute la déchéance d'un musicien qui rêvait d'être une légende *.
A noter en question son une conversation entre Matt Hollywood (guitariste) et Joël Gion (sorte de sosie d'Xtof) des BJM. Ils sont tous deux présent sur l'indice 2. [Clark]
PS : DiG !, c’est le montage qui crée le sens, la scénarisation à outrance au détriment du malheureux Courtney Taylor-Taylor, bien meilleur compositeur que l’infect Newcombe. C’est aussi l’hédonisme apollinien du rock, la joie de mélodies bien troussées qui font taper du pied et dodeliner d’où vous voulez (les Dandy, pas les BJM !). C’est enfin les mésaventures de Clark Clownil et d’un certain Philippe B. lors de leurs sorties arrosées (je ne dirai pas de quoi !) rejouées par ces faussaires de Brian Jonestown Massacre (cf question). [Xtof]
Clark et Xtof


9



Train Man (Densha otoko)
de Masanori Murakami (2005)
La sublimation de l'otaku, ou ceci n'est pas la femme d'a cote. Un film japonais frais et sautillant ? en 2005 ? Oxymoron ? Non, cela existe vraiment. L'histoire, a priori basée sur une histoire vraie, est celle d'un otaku (jeune introverti fana d'ordi et de mangas - Question) qui a un moment de courage en intervenant dans le métro lorsqu'un type bourré manque horriblement de courtoisie envers une (jolie) fille (Indice 1, sur lequel on ne voit pas l'actrice). Il en parle sur un forum de célibataires sur internet (Indice 2). Les gens sont enthousiasmés par son histoire et le conseillent pour se relooker et la revoir. Ca se passe bien et à la fin elle lui tombe dans les bras, après qu'il se soit progressivement métamorphosé en jeune garçon branché. Evidemment, elle avait vu depuis le début que c'était un type super. Ca parait gnan gnan comme ça, mais c'est très frais, plutôt drôle, et l'interaction avec le groupe internet est très bien rendue. Pas mal d'insertions de texte façon manga dans l'image. Bref, du bonheur, qui nous change des trips violents japonais dont nous sommes coutumiers depuis Dorothée, et qui n'est pas sans rappeler le thème de la recherche d'identité du sympathique "Kamikaze Girls" de Tetsuya Nakashima (2004), ou celui du premier amour coup de foudre de la fable de "Sleeping Bride" de Hideo Nakata (2000). L'histoire est devenue célèbre et a été déclinée en une série TV et un manga.
Mister Ke


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Chaînes Conjugales (A Letter to Three Wives)
de Joseph L. Mankiewicz (1949)
Mankiewicz est sans conteste mon réalisateur préféré. Auteur de plusieurs chefs d’œuvre reconnus : The Ghost and Mrs Muir, All About Eve, 5 Fingers, The Barefoot Contessa (que j'aime moins, mais qui vaut à Bogart son plus beau rôle à mes yeux), il est surtout pour moi le cinéaste qui a le mieux filmé les femmes, comprenant de manière surprenante la psychologie complexe de ces êtres mystérieux pour beaucoup d'hommes... Chaînes Conjugales, qui analyse à travers le regard de 3 femmes très différentes, la genèse et les difficultés de leur vie de couple, est une merveille du genre.
L'histoire est simple : 3 amies, sur le point de partir en excursion en bateau avec un groupe d'enfant, apprennent que le mari de l'une d'elles vient de partir avec une de leurs amies. Le bateau quitte la rive, leur ôtant toute possibilité de savoir quel mari s'est fait la malle (question 1 : la cabine téléphonique vue du bateau partant, qu'elles ne peuvent utiliser). La mise en scène, extrêmement brillante, utilise le flash back, grâce à des transitions sonores qui ramènent chacune d'elle à l'histoire et la vie de son couple.
Deborah Bishop (Jeanne Crain) a épousé quand elle était à l'armée un homme issu de la haute (elle vient d'un milieu populaire). Son premier bal dans la société est l'occasion d'une scène formidable au cours duquel, saoûle (elle a abusé du Martini pour se donner du courage) et affublée d'une hideuse robe démodée, elle perd au cours d'une valse endiablée une fleur découpée et recousue à la va-vite de sa robe qui atterrit dans l'assiette d'un vieux monsieur distingué (indice 1).
Rita Phipps (Jeanne Crain) a épousé son ami d'enfance, un professeur aux revenus modestes (Kirk Douglas), et fait bouillir la marmite en écrivant des publicités idiotes mais rémunératrices pour la radio, mettant en péril sa vie de couple en délaissant son mari (elle oublie même son anniversaire) et en le plaçant dans une situation sociale difficile pour l'époque (elle gagne plus d'argent que lui, dingue non ?!).
La 3e, Lora Mae, secrétaire au physique de vamp (Linda Darnell - en photo dans le cadre de l'indice 2) issue d'un milieu très populaire, a réussi à mettre la corde au cou de son patron et à se faire épouser. Ce piège fondateur de leur mariage leur voile la réalité de leur amour et les pousse à s'entre-déchirer.
Bref, ce film est une merveille de drôlerie, de finesse, d'émotions, grâce à une mise en scène brillante et un casting parfait (à noter la présence de Thelma Ritter en bonne hilarante du couple Phipps).
A découvrir absolument...
Mrs Muir et Scalpaf


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Derrière le miroir (Bigger than life)
de Nicholas Ray (1956)
Derrière un drame psychologique et une histoire plutôt « individuelle » se cache une peinture désenchantée de l’Américain moyen des années 50, fruit de l’« American Way of Life ». Derrière cette histoire, apparemment simple, de traitement médical à la cortisone (considéré à l’époque comme un médicament miracle), se cache le mythe de la performance poussée à outrance, le recours aux médocs en cas de défaillance. « Derrière le miroir » se cache le personnage d’Ed Avery (James Mason), père de famille et instituteur, atteint d’un mal incurable. Les effets de la cortisone révèleront un être à l’humeur instable, autoritaire et paranoïaque. Nicholas Ray pointe du doigt une Amérique malade de ses mythes fondateurs. Le glissement symbolique opéré par Ray n’est pas sans rappeler ceux qu’on peut rencontrer dans certains mélodrames de Douglas Sirk.
Tout est « fonctionnel » dans la famille américaine qu’il dépeint. Le chef de famille est « chef », il ramène l’argent à la maison, quitte à devoir cumuler les jobs. L’épouse est serviable et compréhensive, elle colmate les brèches sans saute d’humeur. L’enfant – un garçon – est l’objet des plus grandes attentions de son père : il doit en recevoir l’éducation intellectuelle et sportive. Ainsi va l’ordre des choses … Je me suis souvent demandé pourquoi il n’y avait pas de fille dans ce film, n’aurait-elle pas de place reconnue dans la famille américaine vue par Ray ?
Pas de place pour les sentiments, ni pour la défaillance, encore moins si elle est humaine.
Car le modèle de cette famille « fonctionnelle » renvoie à la notion de réussite poussée au paroxysme, dans ce qu’elle a de plus totalitaire (voire de fasciste), et à son corollaire, la peur absolue de l’échec. Les fonctions et relations entre les membres de la famille prennent corps au sein des différentes pièces de la maison. Chaque endroit a un rôle précis dans cette répartition des tâches : à la famille « fonctionnelle » répond la maison « fonctionnelle ». (euh, là je me dis que le rôle principal du film est peut-être tenu par la maison, hum, le bon film d’horreur …). A titre d’exemple, l’utilisation de l’escalier (la question, quel plan magnifique quand même !) : cette rampe brisée est aussi symbolique (là, je cultive volontairement le mystère). Le ballon de base-ball est lui aussi chargé de sens, et cette scène « christique » où l’enfant tend le ballon, tel un sacrifice (l’indice 1), est poignante de douleur.
Du côté de l’interprétation, on peut dire que c’est « maîtrisé ». James Mason y joue une honnête partition, peut-être pas sa meilleure, mais je ne pouvais néanmoins le passer sous silence. Car James Mason, c’est aussi une voix, reconnaissable parmi toutes (Mrs Muir ne devrait pas me contredire sur ce coup là). Ici, il la prête à cet instituteur, qui en fait notamment un usage particulièrement cinglant dans une tirade mémorable dont je n’ai pu mettre qu’un extrait (l’indice 2), j’en ai encore froid dans le dos …
Scalpaf


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Un soir un train
de André Delvaux (1968)
Revu cet été en villégiature avec Mrs « Mon nom est Perdition » Muir après une dégradante mais jouissive soirée télévisuelle (Koh-Lanta + L’Ile de la Tentation), Un Soir, Un Train se maintient vision après vision comme un trésor caché du cinéma des années 60. Un couple se délite en Belgique à une période de grande tension entre Flamands et Wallons. Le couple, c’est Yves Montand – Anouk Aimée ; le premier y trouve l’un de ses plus grands rôles ; la seconde est à l’apogée de sa beauté un peu lasse. Ne serait-ce que pour la fringante cinégénie de ses deux acteurs, Un Soir, Un Train vaudrait de rester dans les mémoires. Mais le film de Delvaux n’est pas qu’un film de monstres sacrés. C’est aussi une dérive antonionienne à la mode spectrale de James Ensor, un film hanté par le fantastique qui y bifurque en plein dans la dernière demi-heure dont nous ne dévoilerons rien (question et indices en sont extraits, c’est tout ce que vous tirerez de nous !). Voir pour la première fois Un Soir, Un Train, c’est savourer une autre belgitude qui conjugue mystère et mort, amour et destin. Un must discret comme notre semaine mais tout aussi absolu !
Xtof


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Etoile Violette (autre titre : Jean-Jacques)
de Axelle Ropert (2005)
Au moment si délicat de graver dans le marbre les plus beaux films de 2006, sans hésiter j’élus au sommet un moyen-métrage français, Etoile Violette, que je propose aujourd’hui avec joie, espérant que la flopée de cinéphiles FRCDiens décideront d’aller y voir sans faire la fine bouche (on rêve, hein ?).
Etoile Violette, c’est la rêverie d’un tailleur solitaire (Serge Bozon, le jeune homme de l’indice 1, vraiment très bien) qui entre deux reprises se décide à prendre des cours du soir avec un curieux professeur de littérature obsédé par Jean-Jacques Rousseau (le portrait silhouetté de la question). On peut raisonnablement y voir l’opposé de tout ce qui sort semaine après semaine et qui fait s’extasier tout un chacun (comme par exemple, les vilains Infiltrés, ce bien long film à bandaison molle). Etoile Violette est court, sans âge et d’une réserve qui n’exclut pas une pointe de dandysme. C’est un film qui parle bas ; qui ne tend pas l’oreille face à ces plans le plus souvent fixes n’y saisira rien, et ce serait vraiment dommage car il y a de la magie dans Etoile Violette, une magie qui éclate au dernier plan absolument sublime, ce long travelling aérien synchrone avec une chanson de Devandra Banhart et qui se finit sur une main ouverte.
A noter : « Milk and Honey » de Jackson C. Frank en indice 2, une merveille de moins en moins secrète également utilisée par cette grosse tanche de Vincent Gallo dans sa seconde auto-hagiographie « Brown Bunny »
Xtof


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La compagnie des loups (The Company of Wolves)
de Neil Jordan (1984)
"The Howling", "An American werewolf in London" and "The company of wolves" came up in the eighties to renew this sub-genre of terror. While the first one was a horror movie and the second had comedy elements, "The company of wolves" is poetic and metaphoric.
Basing on some short stories from Angela Carter, Jordan revisits Little Redhood. The sexual awakening of a teenager shows her a world of danger and fears, where men are beasts and you must never leave the path. Say goodbye to your childness toys and beware, Rosaleen: outside the wolf is awaiting.
Dr Slump


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Accident
de Joseph Losey (1967)
A l’extérieur, c’est dur, froid, rigoureux, calme, flegmatique, silencieux. A l’intérieur, c’est sanguin, viril, maladroit, exalté, bouillant, tourmenté, vil et meurtris. L’accident, c’est l’événement qui met au contact la pierre froide et le magma brûlant. C’est un choc thermique, c’est un volcan en éruption. L’accident, c’est l’irruption d’une étudiante, Anna (superbe Jacqueline Sassard) dans la vie huilée de l’université d’Oxford, et de sa petite communauté d’honorables professeurs et de fougueux étudiants. La brebis égarée se retrouvera bientôt au milieu des loups prêts à en découdre pour obtenir ses faveurs. Prêts à en découdre, oui, et dans les règles de l’art. Cet art relève de la discipline sportive, un sport d’hommes, avec ses règles, ses rites désuets voire puérils (la mêlée dans le hall monumental de l’indice 2), mais aussi avec ses coups bas. Dans la bataille, la princesse en perdra une chaussure (l’indice 1) : Cendrillon sans ses atours se retrouve vulnérable au pied d’un prince, les jambes écartées (celles du tourmenté Dirk Bogarde), mais malgré tout impuissant. Je ne dirai pas où se trouve l’autre chaussure (mais non pas dans le c… de Xtof), bien que ce soit l’un des « clous du spectacle ». Le film ne traite pas d’une lutte entre le bien et le mal, pas de jugement moral chez Losey, mais plutôt de la manière dont la culture et l’éducation très maîtrisées (« british ») ont bien du mal à contenir les impulsions et les désirs, tel le couvercle d’une marmite sur un panier de crabes chauds bouillant. Le caractère très « british » du film est renforcé par les choix esthétiques de Joseph Losey, notamment les couleurs récurrentes utilisées dans le film. La brebis est blanche (si, si, comme ses chaussures), le gazon est vert (oh …) et le whisky est brun (ah bon ?) : une atmosphère douce-amère s’en dégage, derrière l’apparence feutrée et confortable, se cachent pièges et traîtrises. Ne vous fiez ni au gazon, ni au whisky … vous risqueriez l’accident.
Scalpaf