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Les Idiots aussi ont commencé petits

La semaine est terminée



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Le Distrait
de Pierre Richard (1970)
Presque tout le monde adore Pierre Richard ; même parmi les participants du jeu Frcd, je sais que beaucoup sont fanatiques.
Mais, parmi tous ses films proposés, il manque son meilleur : Le Distrait.
Première réalisation du grand blond, Le Distrait c’est une écriture solide gorgée de gags fameux. Personne n’a oublié les gazous-gazous proférés par Maria Pacôme, le face à face entre Richard et Paul Préboist sans oublier les hilarantes publicités (qui sont dans la question et les indices).
Le Distrait c’est aussi un personnage lunaire, sympathique et gaffeur qui prône le droit de rêver dans un monde uniforme dominé par les costards cravates (voir la séquence extrêmement jouissive où l’acteur réalisateur sème la pagaille dans une soirée mondaine).
A travers son personnage, Pierre Richard fustige le monde aseptisé de la publicité et de la télévision (il s’attaquera encore plus à ce média dans sa deuxième réalisation Les Malheurs d’Alfred).
Revoir Le Distrait c’est constater à quel point Pierre Richard a un talent visionnaire qui fait toute la marque des grands burlesques. Pierre Richard : un génie.
Clark


2



Le chat botté (Nagagutsu o haita neko)
de Kimio Yabuki et Fred Ladd (1969)
Vu à quatre ans dans une salle du Quartier Latin et revu trente ans plus tard à sa sortie en DVD, l'adaptation du "Chat Botté" par Kimio Yabuki reste un véritable enchantement. Malgré ses défauts — une introduction un peu mièvre qui rappelle les japo-niaiseries diffusées autrefois sur Récré-A2 ("Candy", etc.), le film décolle réellement dans sa deuxième partie et cite intelligemment ses influences (les transformations animales de "Merlin l'Enchanteur", le château du "Roi et l'Oiseau"). On peut même voir la longue poursuite finale dans le donjon comme un clin d'oeil cinéphile à "Vertigo".
Cependant, le film ne se limite pas à un habile collage post-moderne, mais parvient à retrouver la poésie du conte original par des scènes d'une grande beauté, mêlant à la fois émotion (la déclaration d'amour sous un clair de lune au bord de la fontaine : indice n° 1) et humour (le chat botté qui, au même instant dirige une chorale de souris : indice n° 2).
Bien que tourné en 1969, "Le Chat Botté" annonce, par son atmosphère les réussites majeures que seront "Le Château dans le Ciel" et "Princesse Mononoke". Est-ce une coïncidence ? Pas vraiment : le responsable de l'animation était à l'époque un certain Hayao Miyazaki...
Prince Mishkin


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Deux hommes dans la ville
de José Giovanni (1973)
La lutte entre le Bien (Jean Gabin) et le Mal (Michel Bouquet) autour d'Alain Delon qui vient de sortir de prison, et est dépassé par son destin. Le parallèle avec "Le cercle rouge" (1970) est tentant. Delon sorti de prison, mais aussi le cote pessimiste du Cercle Rouge : « Il n'y a pas d'innocent. Les hommes sont coupables. » -« Même un policier ? », lui objecte Bourvil/Mattei. « Tous les hommes. Tous coupables. ». Au passage, une révolte de prison brutalement réprimée (Indice 1, avec Gabin), et un réquisitoire insistant contre la peine de mort, abolie en 1981.
Parmi les pépites parsemées dans le film : des scènes d'extérieur filmées a Montpellier (Question) ou se déroule plus de la moitie du film, deux jeunes débutants qui côtoient le duo des géants Gabin/Delon : Gérard Depardieu (un quasi-inconnu de 25 ans, un an avant "les Valseuses") en malfrat relativement convainquant (rétroviseur, Indice 2) et Bernard Giraudeau (26 ans) en étudiant soixante-huitard a l'arrière de la moto (Question), dans un de ses tout premiers rôles au cinéma. Anecdotiquement, un des rares rôles au cinéma de Christine Fabréga (invitée récurrente des "Jeux de 20 heures" de Maître Capello), en épouse de Gabin.
Mister Ke


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Mean Creek
de Jacob Aaron Estes (2004)
Exception qui confirme la règle, Mean Creek n’est pas un film d’enfance au sens où nous Idiots (et moi plus précisément) l’aurions découvert dans nos jeunes années (quoique, j’ai peut-être 10 ans…) mais c’est un film qui fait ressentir au plus profond ce moment délicat qu’est la sortie de l’enfance - en l’état, une véritable et brutale expulsion manu militari.
Un adolescent maltraité par le garçon obèse de l’indice 1 en fait part à son entourage - frère aîné, copine, amis divers. Ce petit groupe décide d’inviter le gros benêt à une partie de campagne pour l’humilier à son tour. Est-il besoin de dire que tout cela finira très mal ?
Les plus cinéphiles auront reconnu la trame du Bully de Larry Clark qui eut le mauvais goût de sortir quelques mois avant Mean Creek, si bien que les spectateurs délaissèrent le film de Jacob Aaron Estes, probablement dégoûtés à l’idée de passer encore deux heures avec des teenagers sans morale, semi-mongoloïdes, accros au sexe et à la drogue. Funeste erreur car, passé l’argument, les films n’ont rien de commun. Bully a tout du coup de poing et, pour une fois, avance à découvert sur le thème de l’homosexualité refoulée qui sous-tend tous les films de Clark (cf les horribles Ken Park et Wassup Rockers, ce défilé débile de petits culs et braguettes latino). Infiniment sage en comparaison, Mean Creek laisse une trace beaucoup plus profonde. Ses personnages sont de vrais personnages pas des fantasmes animés par le regard soi-disant documentaire d’un quinquagénaire libidineux.
Immergés dans une nature rien moins qu’hostile, les enfants de Mean Creek ne sont pas si loin de Tourneur, voire de Laughton (indice 2). Confrontés à leurs pulsions et à ce qui en découle dans une longue scène d’une force et d’une précision marquante, ils quitteront brutalement le monde de l’enfance selon la terrible maxime de Chamfort qui veut que « l’homme arrive novice à chaque âge de la vie ». Rarement, en tout cas, l’on aura touché de si près l’irrémédiable au cinéma, un irrémédiable qui culmine avec le plan inoubliable de l’escargot « sacrifié » (question) d’autant plus violent qu’il l’est par le personnage le plus modérateur de la bande (tous les acteurs sont remarquables, notamment la jeune Carly Schroeder qu’on veut revoir très vite).
Bien loin de la violence gimmick des Tarantino et cie, Mean Creek est un film où le mal pèse son poids de chair et s’immisce à jamais dans les consciences. Cela ne le rend que plus indispensable.
Xtof


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Mes chers amis (Amici miei)
de Mario Monicelli (1975)
Oh, I feel zingaro tonight... Always dreamed of having friends like these, never taking life (or death) too seriously. When it is hard for me to find the joke (there is always a joke if you look well), I sometimes join Perozzi, Melandri, Mascetti, Necchi and Sassaroli.

Prematurata la supercazzola?
Dr Slump


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Les demoiselles de Rochefort
de Jacques Demy et Agnès Varda (1967)
Avec Peau d'Ane, ce film de Demy est un de mes plus beaux souvenirs d'enfance. On y trouve tout ce dont une petite fille sensible rêve dans son petit lit taille 90 avec couette Descamps au coloris pastel :
- de la poésie
- un cadre enchanteur (enfin précisons que Demy a fait repeindre les maisons et la grand place de Rochefort pour rendre cette belle ville un peu plus pop et moderne qu'elle ne l'était en 67)
- de l'amouuuuuuuuuur (le chassé-croisé amoureux est ici porté à son apogée). L'indice 3 illustre la rencontre magique de Dorléac et Kelly, dont les mains se touchent quand ils ramassent par terre les cahiers du petit frère Boubou
- de la beauté (les soeurs Dorléac, sublimes, Jacques Perrin, tout mignon en marin blondinet, Gene Kelly - ma 2e idole masculine après James Stewart et avant Steve Mac Queen, Danièle Darrieux, encore splendide près de 40 ans après...)
- des chansons romantiques ("je l'ai cherchée partout, j'ai fait le tour du monde...") et entraînantes ("nous voyageons de ville en ville...") de Michel Legrand (la symphonie de Solange en question)
- de la danse
- de la peinture (le portrait de Deneuve peint par le petit marin Perrin pour représenter son idéal féminin aurait été un indice bien trop simple pour des joueurs de votre trempe, j'ai donc préféré la peinture au pistolet du galeriste éconduit par Deneuve)
- de mauvais calembours pour finir (la rengaine du marin Maxence qui va en perm' à Nantes)

Comme dans tous les films musicaux de Demy, les acteurs sont doublés par de vrais chanteurs (à l'exception de Danièle Darrieux, excellente, qui n'avait aucun besoin d'une doublure musicale). Ce détail est invisible à l'arrivée, les voix des chanteurs ayant un timbre extrêmement proche de celui des acteurs (j'ai longtemps été convaincue que Françoise Dorléac chantait elle-même, tellement la voix un peu rauque de la chanteuse ressemble à la sienne).
Maintenant que je dors dans un lit de 140 avec des couettes aux couleurs un peu plus flashy, la magie de ce film opère encore, et je dois me faire violence pour ne pas reprendre en coeur toutes ces belles chansons, ce qui ne manquerait pas de faire fuir le lutin d'intérieur qui partage mon 140...
Mrs Muir


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Cadet d'eau douce (Steamboat Bill, Jr.)
de Charles Reisner et Buster Keaton (1928)
Oh l’histoire est sans importance. Cadet d’eau douce – Steamboat Bill Junior – peut-être vu comme le parcours initiatique d’un jeune étudiant sortant de l’université fraîchement moulu, qui ne connaît pas grand chose à la vie, pas même son père qu’il a quitté il y a bien longtemps. Il le retrouve dans cette ville fluviale, River Junction, où son père est marinier sur un vieux rafiot, le Steamboat Bill. Il devra très vite abandonner son violon et sa casquette bariolée pour la salopette de matelot, et faire ses preuves où personne ne l’attend. Car en plus des préjugés qui l’accueillent – il est petit, rêveur et bientôt amoureux (l’indice 2), tout le contraire de ce qu’attend le marinier de son fils –, les éléments vont littéralement s’acharner contre lui …
Ce qui fait le bonheur d’un « idiot enfant » devant ce film, c’est un émerveillement de tous les instants. Les éléments sont contre Steamboat Bill Junior, peu importe, il ne va pas les refuser, il va les affronter mais sans jamais s’y opposer. Il en viendra à bout en les utilisant, en jouant avec eux tel le judoka qui se sert de l’énergie de son adversaire pour le renverser. Buster Keaton invente le cinéma d’arts burlesques. Ces inventions restent dans la mémoire du cinéma aujourd’hui devenu grand.
Par la poésie et le rêve, il nous emmène dans son imaginaire. Car cette histoire de maison qui volent, qui flottent, dont les façades tombent telles les cartes d’un jeu, laissant apparaître autant de maisons de poupées, pourrait paraître bien grotesque tellement les ficelles « techniques » sont aujourd’hui dépassées. Mais ça fonctionne à merveilles. Par la magie des situations qui s’enchaînent, nous voilà dans un film fantastique : l’homme « tout petit » face aux « forces gigantesques » qui le dépassent. Cette maison qui se pose sur Keaton (la question), aura sans doute influencé certains auteurs fantastiques, à commencer peut-être par Jack Arnold et son « Homme qui rétrécit ». Tout l’art de Keaton (bien servi par Charles Reisner, le réalisateur), consiste à s’appuyer sur des situations bien réelles, et à les détourner pour en faire des purs moments de poésie cinématographique. Comment ne pas fondre devant la tendresse de cette scène dont le hasard réunit les futurs tourtereaux en miroir ? (l’indice 2) Et comment ne pas avoir envie de recueillir ce chat apeuré sur cette planche précaire ? (l’indice 1) On pourrait multiplier les exemples …
Il faut revoir les films de Keaton pour s’apercevoir combien ils étaient novateurs et combien ils en ont inspiré tant d’autres. Depuis que j’ai vu Seven Chances (Fiancées en Folie), je suis même persuadé qu’il a aussi inventé … les jeux vidéos (loin de lui cette idée).
Buster Keaton : l’enfance de l’art.
Scalpaf


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Fenêtre sur cour (Rear Window)
de Alfred Hitchcock (1954)
Fenêtre sur Cour, vu à l'âge de 10 ans et des brouettes en famille dans une salle parisienne (nous habitions en banlieue, il s'agissait donc d'une sortie mémorable), reste un de mes Hitchcock préférés (après Une Femme Disparaît, déjà joué, et loin devant Vertigo, film préféré de nombreux cinéphiles). Pour commencer, James Stewart, mon idole, en est le héros. Un héros physiquement diminué puisqu'il est cloué chez lui, en pyjama (indice 1), dans un fauteuil roulant avec une jambe plâtrée à la suite d'un accident dans l'exercice de sa profession de photo-reporter. Amateur d'action et d'émotions fortes, il partage sa vie (mais pas son appartement) avec une top model d'une classe absolue (Grace Kelly, au sommet de sa beauté), qui se départira au cours du film de son image de beauté glacée pour se révéler tour à tour sensuelle (ah la petite malette à nuisette...) et risque tout. La question, extraite de la scène d'ouverture, présente habilement l'univers éloigné de ce couple (lui via les photos de reportages extrêmes - elle via les photos de magazine de mode dont la question est un négatif).
L'intrigue est simple : notre photographe temporairement invalide fait passer le temps en observant la vie de ses voisins de l'immeuble d'en face. Ce voyeur assumé (et bien équipé vu sa profession : jumelles, zoom...) commence à soupçonner l'un de ses voisins d'avoir zigouillé et découpé en morceaux son épouse pénible et alitée. Il fait part de ses soupçons à son entourage (un ami policier, sa dulcinée et son employée de maison, jouée par la toujours formidable Telma Ritter), qui après l'avoir rabroué sur son imagination débordante et son activité amorale, se prend au jeu et participe activement (lui n'en est pas physiquement capable) à la traque du présumé meurtrier.
Se jouant avec brio de la contrainte d'unité de lieu et du cadre théatral, qui aurait pu donner une pièce filmée ennuyeuse (comme La Corde), Hitchcock peint avec un luxe de petits détails la vie quotidienne de l'immeuble : la célibataire plus toute jeune en quête de l'âme soeur, la petite danseuse très courtisée par des messieurs libidineux, le petit chien descendu dans la cour à l'aide d'un panier attaché à une corde par un couple qui dort sur son balcon pour cause de canicule... Parallèlement à ce cadre pittoresque, il développe une intrigue prenante et fait progressivement monter la tension. Celle-ci atteint son apogée dans une scène inoubliable où le héros, pris au piège dans son fauteuil roulant, retarde les assauts de son voisin inquiétant (Raymond Burr, indice 2) à coup de flashs photographiques qui éblouissent l'adversaire.
La madeleine de ce film d'enfance : c'est avec lui que mon père m'a appris à reconnaître le génie d'Hitchcock. Il est un des rares réalisateurs, quand il filme ce qu'on voit avec des jumelles, à montrer un cercle (comme quand on regarde vraiment avec des jumelles) et non deux. C'est un détail, certes, mais il compte encore pour la grande fille que je suis devenue.
Mrs Muir


9



L'esprit de la ruche (El Espíritu de la colmena)
de Víctor Erice (1973)
Víctor Erice has directed only three movies in more than thirty years, but they all are absolute masterpieces.

The story of two sisters in the first year after the Spanish Civil War is the symbolic reflection of a bleeding country, shown through the imagination of a girl. The coming of cinema, the loneliness of a monster, the discovery of death, all bathed in golden light, like a Vermeer painting.

And Ana Torrent's eyes...
Dr Slump


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Hannah et ses soeurs (Hannah and Her Sisters)
de Woody Allen (1986)
Un des meilleurs Woody Allen, peut être même l'apogée de sa carrière et de son personnage de névrose hypochondriaque hilarant. A New York, Hannah (Mia Farrow) est une actrice issue d'une famille d'acteurs. Elle ne se pose pas trop de questions et tout semble bien aller pour elle en ce moment, tandis que son entourage erre en s'interrogeant sur le sens de la vie, en vain.
Mickey Sachs (Woody Allen) est prêt a tout pour calmer ses angoisses existentielles. [Mickey's father] "And you're gonna believe in Jesus Christ?" [Mickey] "I know - sounds funny. But, I'm gonna give it a try". Dans sa quete, il a acheté des objets religieux en faisant ses courses (la Question). Lee (Barbara Hershey) est une soeur de Hannah. Elle vit avec un artiste qui s'est progressivement coupe du monde. En indice 1 : elle passe le concerto pour clavecin en Fa mineur, BWV 1056 de JS Bach. Cette musique m'a tellement marqué que je l'ai écoutée en boucle après la sortie du film. Elliot (Michael Caine), le mari d'Hannah, cultive mais fade, se sent très attire par la belle Lee. Indice 2 : totalement déboussolée, elle lui explique que sisisi, elle ressent bien un petit quelque chose pour lui.
Il y a peu de films ou la fête de Thanksgiving apparait. Il y en a 3 ici, qui ont lieu chez Hannah et Elliot, et rythment le film. Les personnages s'agitent, les années passent, les questions éternelles demeurent, le spectateur peut commencer a se demander si et comment il y a répondu. Woody Allen pourra poursuivre son travail sur ce thème, malheureusement au risque de l'épuiser.
Mister Ke


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Le tigre du Bengale (Der Tiger von Eschnapur)
de Fritz Lang (1959)
Le cinéma, pour moi enfant, c’est la découverte du mal et de la cruauté. Presque aucun film (cf Q14) ne résume cela mieux que le diptyque coloré de Fritz Lang Le Tigre du Bengale/ Le Tombeau Hindou. Le second volet ayant déjà été proposé par votre serviteur à la session des FXZ, reste le premier aussi beau quoiqu’un poil moins contemplatif.
Sous le plaisir du feuilleton et des rebondissements, le mal rôde sous des traits multiples parfois sujets à de brefs évanouissements (le fakir dans la scène d’anthologie qui se conclut par l’image de la question, le tigre lors de l’attaque du village). C’est que le mal est éternel, il se loge partout, même dans la courageuse silhouette de Paul Hubschmid qui commence à singulièrement péter les plombs à la fin du Tigre (indice 1).
Fritz Lang fut un magicien du mal, en dénonçant les rouages et y succombant peut-être (le suicide de sa première épouse pour lequel il fut longuement interrogé). Revoir Le Tigre et le Tombeau aujourd’hui, c’est avoir éternellement 10 ans, l’âge où je découvris ces films et avec eux la puissance du mal. Ce n’est pas sans un pincement au cœur que j’imagine les enfants d’aujourd’hui se faire une idée abâtardie du cinéma avec ces grosses machines bleutées que sont le Seigneur des Anneaux et autres Harry Potter. La magie et le mal n’ont pas besoin de tombereaux d’effets spéciaux. Il suffit d’un regard un peu perçant, du cadre comme figure du monde, d’un trait de génie.
Pères et mères qui lisez ceci, offrez à vos enfants les films indiens de Lang, ils vous en seront reconnaissants pour longtemps, voire toujours.
Xtof


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Zéro de conduite: Jeunes diables au collège
de Jean Vigo (1933)
A 28 ans, âge auquel il réalise Zéro de conduite, Vigo a littéralement chaussé ses yeux d’enfants pour nous montrer, comme jamais, le monde vu par eux. Il y parvient de manière unique en nous plongeant dans les moments les plus intimes de leur vie de collégiens pensionnaires. Chaque instant, le plus simple, devient un espace de (ré)création : depuis le train qui les amène au pensionnat où deux collégiens s’épatent mutuellement en se montrant les objets-surprises et autres tours de passe-passe qu’ils ramènent de leur week-end (la question), jusqu’à la chambre de l’internat où les enfants singent les adultes et leurs rituels, en passant par les toilettes des WC où on se joue des interdits …
« Transformer les moments les plus anodins en espace de (ré)création » pourrait être une définition du cinéma burlesque, et Zéro de conduite l’est aussi un peu. Le surveillant chaplinesque (l’indice 1) – incarné par Jean Dasté, l’ami fidèle de Vigo –, est le seul adulte allié des enfants. Il peut être vue comme la présence de Vigo dans le film, le cinéma comme un lien entre deux mondes …
Face à l’ignominie des professeurs, à l’autorité implacable du proviseur, les collégiens organisent la révolte. Elle sera joyeuse, libertaire et poétique. Dans une explosion d’une rare beauté, les enfants mettent à sac l’immeuble, bombardent d’objets divers les personnages symboliques d’un jeu de massacre (un gendarme, un maire, un curé), et s’affranchissent définitivement des lieux et des adultes responsables de leur enfermement. Les images légèrement ralenties et la musique de Maurice Jaubert qui accompagnent l’explosion initiale des polochons (l’indice 2), participent à leur façon à l’abolissement des lois qui régissaient l’endroit.
Le rapport à l’espace ne transparaît pas dans les captures choisies pour le jeu (on ne peut pas tout montrer), mais la façon dont Vigo retranscrit les lieux et leur emprise sur les enfants, est remarquable. La cour de l’école, la chambre, la classe, etc, sont vus comme des espaces d’enfermement remplissant des fonctions précises, définies et organisées par les adultes. Progressivement les enfants occupent ces lieux à leur façon, se les ré-approprient, les travestissent, et les abolissent. Ils s’échappent par les toits alors que les adultes y restent bloqués. Vigo allie finement contre-plongées et plongées pour signifier l’enfermement, puis son affranchissement.
Ce film respire la liberté, de cette liberté inaltérable qu’on a au fond de nous. L’enfance qui caractérise ces « jeunes diables au collège » n’est pas un âge, c’est un état.
Film unique dans sa façon de traiter la révolte poétique des enfants –Lindsay Anderson abordera le sujet avec If…, initiative louable gâchée par une fin qui pour le coup ne fait pas dans la poésie –, Zéro de conduite sera déclaré « Film anti-français » par la censure à sa sortie en août 1933, et ne recevra son visa d’exploitation qu’en 1946.
Scalpaf


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Le Roi de coeur
de Philippe de Broca (1966)
Moins connu que "L'Homme de Rio", "Le Roi de Coeur" est malgré tout le plus beau film de Philippe de Broca. L'histoire de ces aliénés qui s'évadent de leur asile et prennent, quelques jours durant, le contrôle d'un village abandonné, est un chef-d'oeuvre fragile, oscillant constamment entre l'euphorie et la tristesse. Il faut préciser que l'histoire a lieu en France pendant la guerre de 14-18, au moment où les hommes "normaux" sont occupés à s'entretuer. Un soldat écossais, Plumpick (Alan Bates, indice n° 1), envoyé en mission de reconnaissance, se lie très rapidement à la communauté et tombe amoureux de Coquelicot (Geneviève Bujold, indice n° 2). Bien plus qu'une satire anti-militariste, "Le Roi de Coeur" est un film tourné en état de grâce et qui réunit une distribution éblouissante : Bates, Bujold, mais également Jean-Claude Brialy, Micheline Presle, Julien Guiomar, Michel Serrault et Pierre Brasseur (qui joue aux échecs avec un chimpanzé sur la première image). Bref, un complément indispensable à "Paths of Glory" (proposé il y a peu) et une raison supplémentaire d'oublier l'affreux "Joyeux Noël".
Prince Mishkin


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Le Scandale
de Claude Chabrol (1967)
Le goût du cinéma, petit, se dessine avec rien ou presque. Mon cas tient en deux mots : le Scandale de Claude Chabrol - et si l’on veut être précis, la fin uniquement, ce que j’en vis après que ma famille eût changé de programme à la télévision, il y a bien des années de cela. Un quart d’heure de révélations incompréhensibles et de crimes odieux se concluant par une mêlée ouverte dans une chambre entre trois personnages qui, comme on dit, « donnent libre cours à leurs sentiments » - soit ici, le lucre, la folie homicide, l’impuissance. C’est de ce jour que date mon intérêt pour le cinéma et son corollaire indispensable, la mise en scène. Pour cette scène capitale qui me hante encore, Chabrol plaça la caméra à l’aplomb du plateau et eut cette idée véritablement vertigineuse de l’éloigner petit à petit - un peu à la façon des scènes d’escalier dans Vertigo - de l’éloigner comme si la pièce était d’une hauteur gigantesque jusqu’à ce que l’incroyable advienne : la chambre devînt de plus en plus petite, laissant apparaître le noir du néant autour de ses quatre murs, comme si elle sombrait ans un vide sans fin, cependant que les hurlements de l’infernal trio parvenaient parfaitement distincts au spectateur, et ce malgré l’éloignement. Une image du chaos qui n’a toujours pas sa pareille pour moi. Bon, évidemment, l’infâme copie dégottée de façon plus ou moins licite était coupée avant ce dénouement que je m’imagine par moments avoir rêvé - mais non, à l’âge adulte, j’ai revu ce film d’ailleurs secondaire et l’incroyable travelling arrière était toujours là.
Maintenant que je suis un grand garçon, j’ai compris d’où venait cette trouvaille, probablement d’Aldrich - à la fin du faiblard Grand Couteau, la caméra placée non plus face au plancher mais au dessus d’Ida Lupino, s’éloigne pareillement, dévoilant une bordure noire autour de la salle où elle se tient. On peut raisonnablement penser que le gros Bob renvoie par la même aux origines théâtrales de son script sur le mode du « monde est une scène ». Rien de tel chez Chabrol dont je me suis rappelé l’interprétation étonnante du cinéma de Lang. Pour lui, le monde existe chez Lang tant qu’il existe dans le cadre - dès qu’un personnage sort du champ, il retourne dans les limbes. Appliquée au dénouement du Scandale, cette idée donne ceci : la pièce en mouvement dans le vide, c’est le monde entier et ses composantes hurlantes sont, pour aller vite, le mal et le chaos à peine tempérés par les pauvres efforts de certains pour adoucir l’inéluctable. Le monde n’est pas une scène, c’est une fosse aux serpents. Voilà une leçon glaçante que je n’ai guère oubliée. Je ne vous ai pas parlé du cri d’un des personnages, deux mêmes mots toujours répétés. Je ne le ferai pas ; à la place juste cette anecdote sur le Chabrol de cette époque brandissant, peut-être ivre, un billet de 500 francs devant son fils, et ses mots : « Regarde ! C’est du sang ! ».
Le sang. Le mal. Le chaos.
Le cinéma.
Xtof


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Coup de tête
de Jean-Jacques Annaud (1979)
Foot et cinéma n’ont jamais fait bon ménage. Rares sont les films sur le football et rares sont les films réussis.
Coup de tête est un coup de maître qui peut à la fois rallier les footeux et les non footeux ; il dresse un portrait d’un club amateur (l’A.S. Trincamp) qui rêve d’exploits en coupe de France. Coup de tête c’est surtout la description de notables pourris, prêts à toutes les bassesses pour protéger leur club chéri.
Le film d’Annaud est un modèle de finesse qui évite la caricature trop lourde et appuyée.
Il faut dire que Coup de tête bénéficie d’une conjonction de multiples talents :
Une réalisation honnête et inspirée de Jean-Jacques Annaud (qui signe son meilleur film et qui va se perdre par la suite dans des productions européennes formatées), un magnifique scénario et des dialogues signés Francis Veber (qui va tomber dans ses derniers films dans l’auto caricature), une interprétation de premier choix avec Patrick Dewaere qui porte le film grâce à toute son énergie et à tout son talent. N’oublions pas les autres comédiens tels Michel Aumont, Maurice Barrier ou Gérard Hernandez sans oublier Jean Bouise qui compose avec finesse un président de club lucide et cynique (« j’entretiens onze imbéciles pour en calmer huit cents »). A cela, on peut aussi rajouter une excellente musique signé Pierre Bachelet (on a tous fredonné l’hymne de l’A.S. Trincamp !).
A l’heure où le football est de plus en plus gangrené par l’argent, la vision de Coup de tête est salutaire (le film n’a pas pris une ride, au contraire il se bonifie avec le temps).
Pour ceux, comme moi, qui aime le football et le cinéma je recommande le dossier de l’excellente revue So Foot consacrée aux relations foot et cinéma (numéro 15, octobre 2004). A lire, notamment, une rencontre entre Annaud et Guy Roux (l’entraîneur à l’époque de l’A.J. Auxerre où fût tourné le film) qui évoquent ensembles le tournage des années après.
Clark